11. Eric *

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ERIC

Eric s'était éveillé dans un grand lit moelleux, beaucoup plus large que celui de son château. Il n'aurait imaginé ce lit que chez Sa Majesté Charles VI elle-même. Il se tourna sur le côté, caché sous les draps, ivre de bonheur. Ce confort... Proprement hallucinant. Il devait être en train de rêver. Morbleu, si je n'avais pas cette armure... Mais il était bien trop enfoncé dans le matelas pour se déshabiller. Cela aurait pris des heures. Il ferma les yeux, las mais heureux. La fuite n'avait pas été aisée.

Il était assis sur un gros rocher. Son armure était tachée de boue et de poussière, sans même parler du futur sang de ses ennemis qui allait bientôt engluer le métal jadis brillant et lustré de son épée... ou du moins celle de son ami Gauvain, car Eric n'était pas un véritable guerrier. Ils étaient tous agglutinés non loin de la clairière entre les bois d'Azincourt et de Tramecourt, le cœur au bord des lèvres, la pluie battant sur leurs épaules mais promettant de se calmer au lever du jour. Ils grelottaient, car la température était tout sauf agréable pour un 25 octobre 1415. Ils patientaient.

Les arbalétriers tentaient de protéger leurs armes de la pluie. Les chevaux piaffaient d'impatience. Il était cinq ou six heures du matin, personne ne pouvait le dire. Le temps passait à la fois lentement et rapidement : lentement car tous voulaient en découdre avec les Anglais, et rapidement parce qu'Eric voulait absolument s'enfuir.

Il n'avait jamais participé à une bataille. Comme était-ce possible, pour un chevalier, un noble comme lui ? Eh bien, tout simplement... il avait déserté toute sa vie. À chaque combat, il avait trouvé une bonne raison pour partir, une excuse pour ne pas se battre. Il détestait la simple idée de la guerre. Était-il pour autant un lâche, un couard, un imbécile ? Ou pire, un hérétique qui refusait le code de l'honneur ? Eric était persuadé du contraire. Il n'était pas si honorable de tuer des hommes, selon lui. On ne partageait pas ses opinions car il n'en parlait jamais ; la mise à mort pour trahison rôderait bien trop près de lui s'il osait le faire.

Il entendit un bruissement dans les arbres. Comment fuir ? Eric voulut se gratter la poitrine, mais il avait oublié qu'il portait son armure. Il détestait sa vie, sa simple existence. Pourquoi était-il ici ? Lui qui avait toujours voulu devenir écrivain... Raconter des histoires, pas les vivre ! Aller de château en château et lire des contes aux enfants de nobles, voilà ce qui le faisait rêver ! Mais il était né trop riche pour choisir sa vie. Beaucoup trop riche.

Charles Ier d'Albret, premier connétable du royaume, tâtait le sol. Pas de doute, le champ de bataille était détrempé et cela s'annonçait assez mauvais. Malgré tout, les Français étaient très confiants – beaucoup trop du goût d'Eric – mais les négociations avaient échoué : on allait se battre. On allait réellement se battre. Après trois heures de discussions, les deux armées n'étaient pas parvenues à un accord. Soudain, Eric sentit une certaine agitation dans les rangs. On y allait ? On y allait vraiment ? Que s'était-il passé entre cinq et dix heures ? S'était-il assoupi durant tout ce temps ? Il se redressa avec difficulté, brinquebalant dans son armure. Il fit quelques pas et s'enfonça d'un bon pied dans la boue.

« Que quelqu'un me sorte de ce cauchemar... » marmonna-t-il, trop bas pour être entendu.

Eric fixa à l'horizon l'armée anglaise. Il aurait dû être parmi les autres chevaliers venus avec lui de Rouen, c'est-à-dire à cheval, mais il avait habilement fait croire à Charles Ier qu'il était une bien trop fine lame pour gâcher son talent sur un canasson. Il était plus commode de déserter à pied que sur un animal rendu fou par les flèches et les hurlements des combattants...

BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant