110. Agnès

118 19 3
                                    

AGNÈS

Agnès était allongée dans l'herbe, comme chaque jour. Elle gardait précieusement son flacon de cyanure dans une poche de sa chemise et le sortait de temps à autres pour se rappeler qu'elle avait pris la bonne décision. Plus personne à faire souffrir... Même pas moi. Elle n'arrivait pas à croire que, depuis le départ des autres, elle avait dormi plusieurs fois pour se réveiller en paix, dans l'herbe, de la nourriture à portée de main. Elle s'était même occupée du potager laissé en plan par Charles pour passer le temps. Sa vie était si paisible... Elle prenait conscience que rien de mauvais ne pouvait plus lui arriver.

B n'était pas venu lui rendre visite depuis des jours. Elle pensait qu'il l'avait abandonnée. Cependant, sans faire attention à l'existence de B, elle ne pouvait s'empêcher de penser à tous les autres. Tous ceux qui l'avaient quittée et qui avaient peut-être échoué à changer leur vie.

« Je constate que vous allez toujours bien, dit soudain B en apparaissant à ses côtés dans l'herbe.

— Quand on parle du loup... » soupira Agnès.

B parut hésiter à entamer une discussion.

« Vous êtes... la plus résistante psychologiquement de tous mes Opus.

Opus ? Comme dans le jeu vidéo de mon époque ?

— Oui, nous avons appelé les humains que nous devons étudier des Opus... C'était sûrement inspiré de ce jeu.

— C'est un peu bizarre de me dire que je suis la plus forte. J'ai envie de dire que c'est du délire, tu vois. Tu m'as vue, franchement ?

— Cela demande une force très élevée pour rester aussi longtemps ici.

— Je suis spéciale, railla-t-elle. Bon, et sinon, t'étais absent parce que tu regardais ce qu'ont fait les autres, pas vrai ? Je veux tout savoir. »

B déplaça ses jambes pour s'asseoir en tailleur et se mit à raconter de manière succincte ce qu'il avait vu.

« Maurice a pu fuir en Inde, et sa secrétaire a décidé de le suivre et de l'aider. Je ne peux pas vraiment dire qu'ils ont vécu en couple, mais il y avait une sorte d'acceptation mutuelle... Galina l'a embrassé plusieurs fois sur la joue.

— Ce vieux me saoulait un peu, mais ça me plaît qu'il ait vécu heureux. Les autres ?

— Stanislas a eu une vie plutôt étrange... Il a travaillé pour la soupe populaire pendant des années avant de finir cuisinier à Foix.

— Ce brave Stan qui fait à manger jusqu'à la fin... Ça m'étonne à peine. »

B lui expliqua que Juka avait découvert que son père était aussi responsable qu'elle de la maladie de sa mère et d'un petit garçon de leur village, et qu'ils avaient fui avant d'être accusés de quoi que ce soit. Ils n'avaient jamais réussi à s'intégrer à une autre tribu et avaient survécu pendant une dizaine d'années dans la nature. Une infection bactérienne avait eu raison d'eux.

« Triste, mais mieux que prévu. Ensuite ?

— Nok est décédé quelques heures après avoir évité son exécution.

— Quoi ? s'exclama Agnès. C'est vraiment nul ! Après tout ce qu'il a fait pour nous ! Il a eu mal ?

— Malheureusement... »

Agnès arracha quelques brins d'herbe et les jeta de rage devant elle.

« Et son pote Charles ? Il a bien fini ? Je suis sûre qu'il s'est fait décapiter pour rester avec son petit copain.

BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant