82. Stanislas

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STANISLAS

Le cuisinier avait accepté de voir sa mort en face juste après celle de Maurice. Il avait passé un très long moment à arborer un sourire poli, même quand Juka s'était effondrée sous les crocs de l'ourse. Pour ne pas fondre en larmes, Stanislas s'était forcé à imaginer une bonne recette à base d'ours. Juka était sa plus chère amie au manoir, la voir en si fâcheuse posture était abominable !

Stanislas savait déjà qu'il ne serait pas ému par son propre trépas. Son destin l'intéressait bien moins que celui de ses compagnons. Il avait passé des instants extraordinaires avec ses nouveaux amis et découvert comment cuisiner avec des ingrédients répartis sur plusieurs millénaires. J'ai eu plusieurs vies ! Je n'ai pas besoin de la vraie !

Lorsque tout le monde fut assis, le récit de sa vie commença. Il se souvint qu'il en avait peut-être déjà vu le début...

Un château dans le Comté de Toulouse, 20 mai 1048 ap. J.C.

Stanislas travaillait d'arrache-pied à faire éplucher des carottes à ses commis de cuisine.

« Par ici, Guillot, dépêche-toi un peu ! » s'exclama-t-il pour que le garçon accélère la cadence.

Les invités de son seigneur avaient réclamé précisément des carottes. Beaucoup de carottes.

« Allez, Guillot, épluche, épluche ! le pressa Stanislas.

— Pfff, c'est trop long m'sieur.

— Nous n'avons pas le choix et tu le sais ! Hugues, va donc remuer un coup dans chaque marmite et occupe-toi du ragoût.

— M'sieur, le ragoût, on le fait avec quoi ? demanda Hugues.

— Les restes qui sont dans le coin à gauche, dans le sel, allez mais plus vite, plus vite ! Nous ne serons jamais prêts à temps... »

Stanislas était terriblement inquiet. Il était mou en toute circonstance, mais pas dans ses cuisines. Il en allait de l'honneur de son seigneur, même s'il s'en moquait un peu. Le plus important était que tout le monde mange à sa faim !

Soudain, Hugues poussa un cri d'horreur. Stanislas le rejoignit près du coin salé où devait se trouver la viande.

« M'sieur, c'est pas possible... Je sens un truc qui va pas...

— Nous n'avons pas le temps pour tes simagrées, Hugues, ce n'est qu'un peu de sang ! le réprimanda Stanislas en soupirant. Prends cette viande et allume un feu, qu'on en finisse.

— Mais m'sieur, ça a pas l'air très normal...

— Cette viande va très bien ! répliqua le cuisinier en lui tendant un couteau. Au travail ! »

Mais quelque chose clochait, Stanislas ne pouvait le nier. Il posa son couteau sur la table au lieu de le donner à Hugues et s'approcha du panier. Il plaqua alors ses deux mains potelées sur sa bouche, terrassé par ce qu'il voyait.

Ce n'était pas de la viande animale. Pas avec un petit nez et deux yeux braqués dans sa direction.

« Je crois que j'ai oublié de retirer la tête. » commenta Guillot d'une voix sans émotion, bien moins stupide qu'à l'accoutumée.

Stanislas se tourna vers son commis et le regarda en cherchant sa voix.

« G-Guillot... ? Explique-moi... ?

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