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Je pris le chemin le plus long pour rentrer, juste parce que j'étais d'humeur à marcher. De gros nuages roulaient dans le ciel, et une petite brise humide charriait l'odeur de la pluie.

Au détour du chemin, je repérai Dani, agenouillée par terre près d'un vélo retourné, la jupe de sa robe noire étalée en corolle autour d'elle. Elle ne pouvait pas me voir parce qu'elle avait la tête penchée sur la roue arrière, mais moi, j'avais plein feux sur son visage ; son air triste et perplexe, vaguement contrarié.

Sa beauté m'atteignit en pleine poitrine comme un uppercut du droit.

Je l'aurais dessinée qu'au fusain. Portrait : la tristesse dans les yeux

Elle portait le deuil comme certaines portent une parure. Le visage dénué de tout maquillage, aucun bijou à part ses sempiternelles bagues en argent (l'une au pouce, l'autre à l'index) ; c'était comme si son chagrin l'embellissait.

─ Dani, murmurai-je.

Elle sursauta et leva vivement la tête vers moi. Sa queue de cheval toute bouclée glissa de son épaule. Plein de mèches noires s'en était échappées, lui donnant un air vaguement décoiffé qui lui donnait l'air vulnérable et plus jeune. Je vis qu'elle n'était pas mécontente de me voir, mais très vite, une expression neutre s'installa sur son visage, comme ce matin sur les marches du musée.

─ Alessio, rétorqua-t-elle.

Elle se redressa en s'époussetant les mains.

─ Besoin d'aide ? demandai-je, me sentant bête.

Je me sentais un brin dépassé par l'élan qui me poussait vers Dani, envers et contre tout, contre tous.

Toujours mes vieux travers.

Toujours mes heures les plus noires.

─ Je suppose que oui, répondit Dani. Jules ne voulait pas rentrer. Camille m'a prêté un vélo. J'ai crevé.

Je me penchai pour examiner l'engin.

─ Il faut une rustine. Non, en fait, faut carrément changer la chambre à air, c'est déchiré sur au moins sept centimètres. Et il faudrait un remonte-pneu pour démonter le pneu et sortir ladite chambre à air.

─ Et tu as tout ça sur toi ? ironisa Dani, froide.

─ Non, mais je peux t'accompagner jusqu'au garage le plus proche, si tu veux.

─ Si tu n'as rien de mieux à faire...

Dani fixait un arbre sur le bord de la route, l'air fermé.

Clairement, elle faisait tout son possible pour ne pas me regarder, et ça me faisait vraiment mal. Bon Dieu ! on en était vraiment arrivé là.

A ne même plus se regarder.

Je remis le vélo dans le bon sens, et, sans un mot, me mis à marcher, le poussant de la main droite. Dani m'emboîta le pas, yeux rivés à ses tennis.

Le garage n'était pas si loin, vingt minutes de marche peut-être ; je pouvais tout à fait supporter ça. Vingt minutes avec mon grand amour, à prétendre que nous étions simplement rien.

Juste au détour du chemin, des trombes d'eau de pluie s'abattirent sur nous, nous prenant par surprise. D'instinct, Dani et moi nous rapprochâmes l'un de l'autre. Poussant toujours le vélo, je l'entrainai sous les grandes branches d'un arbre feuillu.

Malheureusement, ça ne suffit pas longtemps à nous abriter. La pluie était si agressive qu'en quelques secondes à peine, le chemin fut détrempé, charriant des rigoles d'eau.

Le Versant du Soleil (HB tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant