L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]

Chapitre 7 - Dolores - L'enquête

Aujourd'hui, tout le monde est là, de bonne heure pour la réunion d'équipe. Les infirmières patientent dans la salle de repos où l'infirmière en chef, Marie Di Cara, les a convoquées. Valy chuchote à l'intention de son amie.

— Tu sais pourquoi on est là ?

Dolo se ronge les ongles, sa conscience n'est pas tranquille, la crainte d'une enquête sur l'accroissement des morts subites la tenaille. Sur les douze injections administrées, trois nourrissons sont morts. Sont-ils décédés à cause d'elle, ou étaient-ils prédestinés à subir une mort inattendue sans son intervention ? Elle ne le saura jamais. Valy lui enfonce son coude dans les côtes.

— Oh Dolo ! Tu m'entends ?

La sage-femme tourne la tête dans sa direction. Entre les boucles blondes de son amie, une trace suspecte attire son regard, elle découvre un suçon orangé large comme un pouce dans le cou de sa collègue.

— Oui je t'entends, non je ne sais pas pourquoi on est là et où as-tu encore été traîner ta langue ?

Valy glousse de contentement, avant de souffler.

— J'te raconte tout à l'heure.

La porte s'ouvre et Marie, la chef de service entre. Brune, cheveux attachés, regard clair et souriant, elle respire l'authenticité. Tout le monde l'adore, elle connait son job et veille à ce que tout le monde participe de manière équitable au bon fonctionnement du service.

Contre toute attente, une seconde personne la suit. Desséchée par une attitude sévère plutôt que par l'âge, la nouvelle arrivante toise son audience d'un air sentencieux. Ses cheveux clairsemés raidissent à vue d'œil. Alors qu'elle tente un sourire à l'intention de l'équipe soignante, ses gencives dévoilent un espace important entre chaque dent. Derrière ses lunettes rectangulaires, le regard ne trompe pas, elle n'est pas venue pour se faire des amies. Marie prend la parole avec chaleur.

— Salut les filles, laissez-moi vous présenter Madame Astrid Bléger. Madame Bléger va travailler avec nous pendant les mois qui viennent.

Un murmure parcourt l'assemblée.

— Madame Bléger a une expérience importante, elle nous vient de Paris où elle a exercé diverses professions, toujours dans le milieu médical.

Les explications sont évasives et à mesure que Marie parle, les fronts se plissent.

— Madame Bléger sera parmi nous pour une période limitée afin d'évaluer le service.

Ces mots provoquent un raz de marée de questions. Déjà, les mains se lèvent de toutes parts, mais c'est Antoinette, la doyenne qui prend la parole.

— Marie, est-ce qu'on doit s'inquiéter pour nos emplois ?

— Non les filles, rassurez-vous, Madame Bléger ne fait que passer, elle prendra quelques notes, ceci n'a rien à voir avec une restructuration éventuelle du personnel.

Christine, cheveux courts décolorés et regard énergique, répond :

— Mais pourquoi va-t-on nous surveiller alors ?

Marie se tourne vers la mystérieuse invitée :

— Pourquoi n'expliqueriez pas vous-même l'objet de votre mission afin de rassurer les filles ?

L'inspectrice répond par un sourire mortifère, un peu comme un lierre qui tenterait de fleurir sur une branche morte.

— Vous n'êtes pas sans savoir que le ministère de la Santé coupe régulièrement dans les budgets.

Un murmure d'approbation flotte dans les rangs. Quand il s'agit de critiquer le gouvernement, le personnel ne fait qu'un.

— Je suis chargée d'améliorer les processus de la maternité. J'ai visité beaucoup de services comme le vôtre.

Alors qu'elle s'adresse à l'assemblée, ses yeux se fixent sur chacune des sages-femmes à la manière d'un oiseau de proie. Lorsque le regard perçant se pose sur les infirmières, la plupart adoptent un petit mouvement de recul comme pour écarter une mauvaise sensation.

— Si d'une part les rentrées financières se réduisent à la suite des décisions ministérielles, d'autre part, le nombre de naissance augmente d'année en année. Comme nous ne pouvons plus engager, vous devrez apprendre à faire mieux avec moins. C'est pour ça que je suis là, il n'est pas question de nous séparer de vous, il est plutôt question de vous aider à gérer au mieux la charge de travail à venir.

Un silence s'appesantit dans la salle de repos, chacune semble absorber l'information à sa manière. Une des auditrices semble plus mal à l'aise que les autres : Dolores. Son teint pâlit. Pour elle, tout ceci ressemble à une enquête déguisée, une enquête qui met ses sens en alerte. Lorsqu'elle pense à la mallette cachée dans la réserve, ses sens s'affolent. Elle doit éliminer toutes les preuves et elle doit le faire de toute urgence.