L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]

Chapitre 10 - Max - Dérobés

La nuit, les couleurs disparaissent et les spectres s'animent. Ce soir, une ombre fait les cent pas dans une chambre froide. Dans son dortoir d'étudiant, Max serre son smartphone comme s'il s'agissait d'un chapelet. Sa Maman lui a répondu, enfin. Elle vient le chercher, le sauver de cet endroit maudit. Elle sera là d'un instant à l'autre. Il attend son signal pour quitter les lieux. Ses pupilles sont dilatées par une concentration maximale. Il jette un regard fiévreux en direction de son sac à dos. Tout est prêt. Il abandonne la quasi-totalité de ses affaires, pour n'emporter que son tee-shirt préféré et le seul cadre photo qui égayait sa chambre.

Une vibration dans sa main. Sur le téléphone s'inscrit le message tant attendu :

« Je suis devant l'entrée, je t'attends ».

Son sang ne fait qu'un tour. Il met son plan à exécution et envoie un message à son tour. Juste deux lettres : « GO ». Comme une furie, Max empoigne son sac à dos et fonce hors de sa chambre. Ici, à l'Institut, tout est contrôlé, il sait qu'une porte ouverte à trois heures du matin enclenchera un voyant, une alarme silencieuse. En apnée, il sprinte en direction du rez-de-chaussée. Un couloir, une volée d'escaliers et des fenêtres aux reflets de lune fantomatique défilent à la vitesse de la lumière. Chaque seconde compte, sa vie en dépend. Déjà, la double-porte de la sortie de secours se dévoile. Verrouillée de l'extérieur uniquement, elle n'attend qu'une bourrade pour s'ouvrir. En pleine course, il se jette sur le châssis qu'il ouvre à la volée. Un vent frais lui fouette le visage. Déjà, à l'intérieur du bâtiment, des mouvements de lampe torche zèbrent les couloirs endormis. L'alerte est donnée. Max redouble d'efforts et s'élance en direction du préau. Cette fois, la pluie n'est plus là pour entraver ses mouvements, au contraire, un vent fort lui donne des ailes. Il arrive devant la corniche qu'il avait escaladée en compagnie de ses amis. Sans réfléchir, il mobilise toutes ses forces et se déploie en une détente magistrale. Ses mains atteignent sans problème leur cible. En une traction souple, il se hisse sur la toiture. Derrière chacun de ses gestes, le visage de son ami se matérialise. Nic... Son sourire, son air invincible et toute la force de ses seize ans. Il l'entend encore lui parler de cet éducateur fumeux, « Starsky » et de sa fenêtre ouverte. C'est comme si son ami disparu lui murmurait quoi faire. Max n'a pas à penser, il lui suffit de suivre cette petite voix intérieure, cet instinct que nous possédons tous et qui s'anime aux charnières de la vie.

La fenêtre est toujours là, ouverte, non verrouillée. Quels que soient les évènements tragiques qui auront conduit à la mort de Nic, il aura su garder le silence sur leur escapade et sur ses complices. Si pour Chloé et lui les soupçons grandissent, pour l'instant, le bénéfice du doute plane encore. Merci Nic.

Maxime effectue un appui tendu et pénètre dans le bureau de l'éducateur. Au même instant, un bruit de porte à l'extérieur enflamme ses sens. Il va bientôt avoir de la compagnie. Sans attendre, il se jette sur le bureau, arrache le laptop de son plan de travail. D'un mouvement d'épaule, il bascule son sac à dos pour y glisser l'ordinateur. Quelques secondes plus tard, Max revient vers la fenêtre. Un bruit de bottes sur le béton attire son regard. Une course poursuite ! Chloé fonce en direction du point de rendez-vous. Sur ses talons, deux surveillants la pourchassent. Plus rapides, ce n'est qu'une question de secondes avant qu'ils ne la cueillent.

Au bord du préau, elle laisse échapper un cri de panique. Le premier molosse vient de l'agripper par le bras. Déjà, le second poursuivant arrive sur sa proie, il lève sa lampe torche comme s'il s'agissait d'une matraque. Au même instant, il reçoit les deux pieds de Max sur les épaules. L'adolescent lui a sauté dessus. Il s'écrase de tout son poids sur l'assaillant qui s'effondre dans un gémissement étouffé. L'intervention crée un effet de surprise, le premier surveillant se fige, tétanisé. Chloé en profite pour le repousser. Max se redresse. Sous l'assaut de la jeune fille, l'homme recule d'un pas désarticulé et offre, l'espace d'un instant, un visage sans défense. Max n'en attendait pas tant. Il arme l'épaule, serre le poing et lui balance un direct de toutes ses forces. La cloison nasale craque et une gerbe de sang étoile l'horizon. Sans attendre, Max lui envoie un solide coup de pied en plein milieu du flan. Les côtes flottantes prennent toute la puissance du choc et la victime roule quelques mètres plus loin. Le regard fou, l'ado lance à Chloé :

— Suis-moi !

D'un mouvement maîtrisé, il grimpe à nouveau sur le toit. La sueur perle sur son front et son souffle devient court. Ils ont pris l'avantage, mais leur répit ne sera que de très courte durée. Rétabli sur la plateforme, Max s'agenouille et tend le bras vers Chloé.

— Prends ma main !

De toutes ses forces, il aide son amie à le rejoindre. Avec l'énergie du désespoir, elle se jette sur la main tendue. De leur effort conjoint nait une lueur d'espoir. La liberté est proche, toute proche...