Chapitre 5 - Jenny - Filature

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David revient vers la cuisine. Sous la clarté tamisée, Lucie et Jenny lui apparaissent plus jolies que jamais. À son arrivée, elles adoptent un mouvement coordonné dans sa direction, d'un côté le sourire de son enfance, celui que personne ne remplacera jamais, de l'autre, les promesses de l'inconnu et des jours à venir. À ses côtés, sa Maman perçoit immédiatement les ressentis de son fils. Comme un livre ouvert, ses émotions s'inscrivent sur un visage aussi lisible pour elle qu'une recette de cuisine. L'attention de la matriarche se déplace vers les deux demoiselles qui ne savent pas encore à quelle sauce elles vont être mangées.

Lorsque Lucie l'aperçoit, elle se lève.

— Renée, vous êtes venue, en pleine nuit.

Sans attendre, elles s'avancent l'une vers l'autre.

— Oh, ma chérie, viens dans mes bras.

L'étreinte est sincère. Si les années ont passé, l'amitié qui liait les Darville aux Trace, elle, est restée intacte, inaltérée, et ce malgré les différends. Que valent les griefs devant la mort ? Pour certains ils forment des sillons qui vous défigurent à jamais. Pour d'autres, ils s'écoulent et s'effacent d'un revers de la main. Ce soir, l'étreinte est véritable.

Trois coups résonnent à la porte de la cuisine. David se retourne. Arnaud rejoint l'attroupement et annonce :

— Lucie, David, je vous prie de me rejoindre, nous avons un nouveau visiteur et vous êtes demandés.

Le secrétaire s'exclame :

— Encore ! Mais ma parole, cette maison est un véritable moulin ! Qui est-ce ?

Pour toute réponse, le majordome se contente d'afficher un sourire pincé. Lucie s'écarte de Renée et reprend une respiration plus régulière. Les yeux rougis par trop de larmes, elle tente de retrouver une attitude plus maîtrisée.

— Nous venons, Arnaud.

Elle adresse un dernier sourire à cette dame qu'elle considère comme un véritable membre de sa famille.

— Je te laisse en compagnie de Jenny. Elle travaillait avec David sur le dernier projet de Léon.

La fille Darville adresse un regard en coin à cette dernière, elle pèse ses mots avant d'ajouter.

— Papa lui faisait confiance, alors j'ai décidé d'en faire de même.

Les deux jeunes femmes échangent un regard imperceptible pour les non-initiés. De ceux qui enterrent les haches de guerre et qui signent les plus redoutables alliances.

L'instant d'après, Lucie et David sont de retour dans le hall d'entrée. Arnaud remarque immédiatement que le sac à main de Dolores n'est plus là. Sans rien laisser paraître, il ouvre la porte du bureau.

Le manoir possède la particularité de masquer avec goût la profondeur de ses pièces. La porte du hall annonçait un espace modeste, mais dès que la menuiserie s'ouvre, c'est une pièce monumentale qui s'offre à eux. Le bureau de Léon, David et Lucie le connaissent par cœur. À l'entrée, le porte-manteau avec son dernier pardessus porté. Une superbe cheminée en pierre de France encadre un âtre éteint. Au-dessus, une majestueuse reproduction de chasse à courre domine les hauteurs dans ses couleurs de l'automne. En face s'élève l'immense bibliothèque emplie de livres de collection. Léon adorait déguster un armagnac ancien en relisant Mauriac.

Au fond de la pièce, quelques spots éclairent une collection de fusils Borovnic dont la valeur approximative effleure le million d'euros. Souvent, il recevait ses invités avec son arsenal en arrière-plan, histoire de rappeler le genre d'homme qu'il était. Ce soir, une autre figure a pris la place de l'ancien dirigeant. Un homme d'un certain âge au regard vif et pétillant se lève à l'approche des nouveaux venus. La vue est foudroyante pour Jenny et David. C'est comme si cet homme occupant la place de Léon actait le décès du PDG. Il n'est plus et son siège est déjà pris.

Arnaud resté à l'entrée annonce :

— Je reviens tout de suite, une courte affaire me retient.

L'inconnu répond du tac au tac.

— Ne tardez pas, Monsieur, votre présence est requise pour la bonne tenue de la suite des évènements.

Arnaud approuve du chef.

— C'est entendu, je serai bref.

Revenu dans le hall, porte close, Arnaud extirpe son téléphone portable pour passer un appel. À l'autre bout du combiné, Tobias répond :

— Allo ?

— Monsieur, le plan a fonctionné, Oscar et Dolores sont partis, vous devriez les voir passer sous peu sur la route principale.

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant