Chapitre 9 - David - Protéger ceux qui restent

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Dans le bureau de Léon, l'ambiance froide pénètre les nouveaux arrivants. Lucie et David avancent dans la lueur tamisée d'une pièce monumentale. Du sol au plafond, les boiseries épousent un mobilier choisi avec goût. Devant la cheminée, un relent de suie exhale ses parfums de carbone, la soirée s'annonce sombre. Affairé sur le plan de travail avec sa mallette ouverte, un homme d'un certain âge invite les nouveaux venus à le rejoindre.

— Venez vous assoir, je vous prie.

Lucie répond.

— Maître de Losse, bonsoir, cela faisait longtemps. Quelle urgence vous amène ?

À l'évocation du nom, David tique. Maître de Losse est le notaire de famille depuis plus de trente ans. S'il a déjà vu le nom passer sur quelques dossiers, il ne l'avait jamais rencontré auparavant. Très intrigués, les deux jeunes gens s'asseyent en silence. Derrière eux, une porte grince, Arnaud les rejoint à pas feutrés et s'assied à leurs côtés.

La mine absorbée par le dossier qu'il vient d'ouvrir, le notaire annonce :

— Nous y voilà.

La tête toujours pointée vers le bas, il lève des yeux minuscules par-dessus ses lunettes.

— Bien, je vois que vous êtes au complet. Nous allons pouvoir commencer.

Il se racle la gorge.

— Sont donc présents pour la séance de succession, la fille unique de Monsieur Léon Joseph Darville, Lucie Darville, née un 22 mai 1994 à Paris ainsi que David Trace né un 28 juillet 1993 à Valencienne. Ces renseignements sont-ils bien corrects ?

David et Lucie approuvent. Quel curieux personnage ce notaire. Tout petit dans son costume gris, il donnerait l'impression d'être à mi-chemin entre la souris et l'enfant. Néanmoins, quelque chose de véreux émane de ses regards en coin.

— Bien.

Au fur et à mesure, le notaire annote la marge d'une page préremplie.

— Arnaud Delahaut, employé du défunt Léon Darville, assiste à la séance en tant que témoin. Monsieur Delahaut est né un 19 janvier 1956.

Il interroge son vis-à-vis d'un regard.

— C'est bien exact maître.

— Très bien. Nous sommes donc réunis, ici ce soir, en présence de tous les héritiers, légaux...

Il observe Lucie.

— Et en présence des héritiers extra-légaux...

Ses prunelles obliquent en direction du secrétaire dont le cœur manque un battement. Sa tension s'accroît comme si le mot héritier venait d'ouvrir dans son esprit un nouvel univers des possibles. David ouvre la bouche pour intervenir quand le notaire lui intime de garder le silence d'un simple mouvement du doigt.

— J'ai en ma possession le testament complet de Monsieur Léon Darville. Je vais vous le lire mot à mot comme le requiert le protocole. Mais au vu de l'heure tardive et des évènements en cours, je vais d'abord vous faire un petit résumé de la situation.

L'homme de loi laisse planer sa voix un court moment. L'un de ses sourcils grimpe en accent circonflexe alors qu'il dévisage tour à tour les deux héritiers. Les lunettes sur le bout du nez, il revient vers son dossier avec cette fâcheuse tendance d'utiliser son binocle pour la lecture, mais de pointer David et Lucie d'un regard droit et sans entrave.

— Sachez que Monsieur Darville savait qu'une menace planait sur lui.

Il parle du sujet comme s'il s'agissait d'une banalité de plus, d'un dossier parmi tant d'autres.

— Il avait d'ailleurs organisé une revue de ses volontés en urgence avec des instructions très précises pour chacun d'entre vous.

Nouvelle œillade scrutatrice.

— Bien, commençons par le plus simple. Les biens et les avoirs privés de Monsieur Darville. Il lègue l'entièreté de sa fortune, soit près de neuf-cent-quatre-vingts millions d'euros tout avoir confondu à sa fille unique, Lucie Darville.

David observe son amie opiner d'un visage entendu. Rien de surprenant jusqu'ici. Pour Lucie, face à la peine, les millions sont vains. Le notaire poursuit :

— Monsieur Trace. Léon vous a laissé un pli au cas où il lui arriverait quelque chose.

Le notaire soulève une petite enveloppe blanche qu'il adresse au secrétaire. Le jeune homme lève un sourcil interloqué et saisit la lettre. Il l'ouvre dans un bruit de papier froissé. La note est très courte.

« Cher David, dans le cas où il m'arriverait malheur, je compte sur toi pour poursuivre ce que j'ai commencé. Ne t'attarde pas sur ce qui est parti mais protège ce qui reste. Protège-le à tout prix.

Je compte sur toi,

Léon ».

La note énigmatique perturbe le scribe endeuillé. Il relit plusieurs fois la note. Une drôle de sensation l'assaille, il ressent de la curiosité chez sa voisine. Da manière très ouverte et transparente, il incline la feuille de papier afin qu'elle puisse lire à son tour.

Le notaire les interrompt :

— Vient ensuite la partie plus complexe. La société.

Le regard du notaire s'abat comme un couperet sur la tête du jeune Secrétaire.

— Cher Monsieur Trace, j'ai l'honneur de vous annoncer que Monsieur Darville vous lègue l'entièreté de ses parts.

Sur sa chaise, David blêmit et sa respiration se coupe. Le notaire tend l'acte authentique en direction des deux héritiers.

— Il vous suffit d'accepter la succession en l'état pour que Monsieur David Trace devienne le nouveau dirigeant de Darville Entreprises.


L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant