Chapitre 12 - Dolores - Une longue absence

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La lumière artificielle se réverbère sur la table de la salle de repos. Au centre, une corbeille de fruits colore le décor aseptisé. Une nouvelle attention signée Marie Di Cara, l'infirmière en chef, dont les gestes simples égaient le quotidien.

Dolo et Valy ouvrent la porte et s'abandonnent à la première chaise venue. La jolie blonde pétille beaucoup moins que de coutume. Ses yeux tirés luttent contre la fatigue.

— Quelle journée.

Dolo tend le bras pour agripper le thermos de café.

— Tiens ma belle ça va te requinquer.

À travers l'embrasure de la porte restée ouverte, elles aperçoivent Antoinette et Christine filer au pas de course. Cinq accouchements et huit nouvelles admissions. La journée a été longue. L'horloge indique dix-neuf heures, soit trois heures supplémentaires. Valy lance un regard circulaire afin de s'assurer de la discrétion des lieux.

— Et il a fallu qu'ils nous rajoutent leur inspection sur le dos ! Mais comment veux-tu qu'on produise un meilleur rendement. On a déjà du mal à s'en sortir.

Dolo hausse les épaules.

— C'est toujours la même rengaine tu sais, au final, on finira par faire ce que l'on nous dit. Ce que j'ai du mal à comprendre c'est pourquoi, dans ce pays, on coupe toujours là où il faudrait investir. Les naissances, les soins de santé, les écoles... Ce n'est quand même pas compliqué de comprendre que les générations futures sont la base, elles devraient être la première des priorités...

L'infirmière aux cheveux bruns secoue un visage résigné. Ce sujet réveille en elle une frustration profonde. Valy ajoute.

— En tous cas, je ne sais pas où ils nous l'ont dégottée notre fouine, mais elle me fout carrément les boules. On dirait qu'elle a cent ans, c'est à peine si elle est humaine.

— T'exagères.

— Non, mais sérieux, elle a l'air d'être bouffée de l'intérieur par je ne sais quelle maladie et pourtant, elle prend l'escalier pour venir au bureau. Il y a quand même dix volées pour couvrir les cinq étages ! Vu sa stature et son âge, je trouve cela impressionnant.

Elle ajoute sur un ton suspicieux :

— Et si tu veux tout savoir, je ne l'ai jamais vue boire ni manger.

Dolo s'esclaffe.

— Oui, c'est sans doute un robot envoyé pour nous persécuter.

L'infirmière se lève et attache ses jolis cheveux blonds d'un geste machinal.

— Tu veux venir prendre un verre à la maison ? J'ai des pizzas au congélateur et un ou deux DVD de Hugh Grant si ça te tente.

Son amie répond curieuse :

— Tu ne vois pas ton comptable ?

— Non, Coco n'est pas libre ce soir. Alors ? Soirée télé ?

Dolo secoue la tête.

— Non, la journée a été longue, je vais au tir ce soir.

Valy affiche un visage dégouté.

— Je ne peux pas comprendre comment une fille comme toi, une jolie maman qui a la vie devant elle peut éprouver du plaisir à tirer avec une arme à feu.

— Ah, ma belle, c'est parce que tu n'as jamais essayé.

Elle ajoute d'un ton espiègle :

— Je t'assure, tu ne devrais pas te limiter à tirer juste un coup de temps en temps.

Elles pouffent de rire toutes les deux et se saluent chaleureusement.

*

Dolo a inventé une excuse pour s'attarder. Elle voulait se retrouver seule. Seule, pour effacer les traces de ses actions. Elle a profité de cette heure indue pour retirer, en toute discrétion, la preuve de ses méfaits. La découverte de cette étrange valisette chromée, même vide, suffirait à alarmer la curiosité du service. Un risque auquel elle ne veut pas s'exposer.

L'ascenseur s'ouvre sur l'atrium. À cette heure de la journée, les spots remplacent le soleil. Ils inondent de clarté le hall, mais les vitres ne mentent pas, dehors, la nuit reprend ses droits.

À la réception, elle ne peut s'empêcher de jeter un regard en direction des urgences, peut-être l'apercevra-t-elle. Depuis leur baiser, elle ne l'a pas revu. Il a pris son numéro de téléphone, depuis, elle attend. Comprenez, vingt-quatre heures c'est long pour une célibataire endurcie.

Deux greluches de la compta se campent entre elle et le couloir observé. Dolo fronce les sourcils. Un regard sur sa montre lui indique dix-neuf heures vingt-cinq. Elle prend la direction de la sortie mais l'échange des deux filles de la compta lui parvient aux oreilles.

— Ce n'est pas possible de faire un horaire pareil. Ça va faire un mois que Corentin est malade et il n'est pas prêt de revenir avec sa dépression ! Il est temps qu'ils cherchent un remplaçant pour de bon...

Le reste de la conversation devient inaudible, car Dolo s'est arrêtée en plein milieu du hall, sonnée par ce qu'elle vient d'entendre. Coco ne s'est pas présenté depuis un mois. Alors avec qui Valy passe-t-elle le plus clair de son temps ?

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant