Chapitre 39 - Brani - Carte blanche

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Ce soir, la pluie s'abat sur les âmes en peine, les gouttes les délavent et le ciel les foudroie. Les éclairs zèbrent l'horizon, mais ils ne sont rien en comparaison de ceux qui flambent dans le regard de Brani. L'énorme garde du corps ressemble à un ours enragé. La cravate paraît l'étrangler. Son costume aussi noir que ses desseins semble trop petit pour contenir son élan. Sa stature hors normes déboule d'un couloir à l'autre. L'embonpoint masque à peine cette force tapie en lui. Sur son torse, les couches adipeuses sont dures, râblées, damées par une vie gagnée à coups de poing et par l'enfance froide d'une misère sans merci. La faim, la vraie faim, pas la simple envie de manger, non, la faim viscérale. Celle qui vous retourne l'estomac, celle qui rend fou, celle qui s'accompagne du froid glacé d'un appartement sans électricité. Cette sensation conditionnerait le plus endurci des adolescents. Dans une République Tchèque appauvrie, ces jeunes se ramassaient à la pelle et seuls les plus costauds ou les plus méchants survivaient. Brani possédait ces deux prérequis. Dans le froid mordant de cet âge ingrat, les promesses d'opulence des caïds du quartier l'ont rendu prêt à tout. Abattre son premier homme lui coûta quelques hésitations et plusieurs nuits blanches. Aujourd'hui, il en éprouve parfois du plaisir.

Le tueur déambule dans l'hôpital Lavoisier. Son patron aurait dû revenir depuis un moment déjà. Il a patienté, longtemps, trop longtemps. Brani traverse les services comme un forcené. Il dévisage chaque tête à la recherche d'un coupable à étriper. De retour des urgences, l'hésitation le gagne. Simon reste introuvable et son téléphone sonne dans le vide. Jamais son patron ne l'a laissé dans le flou. Son instinct ne le trompe pas, quelque chose de louche se trame. Le tueur vérifie à nouveau les deux cafétérias, en vain. Un puissant vent de rage souffle sur lui. La seule alternative se dessine, elle s'impose même. Il saisit son téléphone portable en renâclant. Visiblement, la suite des évènements ne lui plaît pas. Contraint et forcé, il compose le numéro d'urgence, pas le choix. Le molosse s'écarte à l'ombre d'une échoppe fermée, afin d'éviter les oreilles indiscrètes. Quelques sonneries retentissent dans le combiné.

— Allo ?

À l'autre bout du téléphone, la voix paraît très surprise. Brani poursuit en tentant de manière assez lamentable de lisser son accent tchèque.

— Monsieur Grégory ? Pardonnez-moi de vous déranger. C'est Brani à l'appareil.

Un silence.

— Monsieur Grégory ? Vous m'entendez ?

— Je vous reçois cinq sur cinq, mais... quelle raison vous pousse à m'appeler ?

Un nouveau silence. L'assassin hésite sur la formulation de ses inquiétudes :

— La raison ? Et bien...

L'homme d'affaires à l'autre bout du combiné s'impatiente :

— Je veux savoir pourquoi ! Pourquoi m'appelez-vous ? Les règles sont pourtant simples ! Nous ne sommes pas censés échanger vous et moi et encore moins par téléphone ! C'est Simon votre seule personne de contact.

La voix vibre de colère et Brani écarte légèrement le combiné de son oreille.

— Mais justement Monsieur.

— Justement quoi ?!

— Et bien c'est à propos de Simon. Il est introuvable et ne répond pas à mes appels.

Quelques secondes s'écoulent.

— Où êtes-vous actuellement ?

— Je suis à l'hôpital.

Nouveau temps mort.

— Et le travail a bien été réalisé ?

— La cible est décédée oui, j'ai vérifié.

— Bien.

— Mais aucune trace de Simon.

Sur cette dernière phrase, Brani patiente dans l'attente de recevoir ses instructions.

— Y avait-il autre chose qu'il aurait pu faire, un endroit dans lequel il aurait pu se rendre ou des habitudes qui l'occupaient régulièrement sur place ?

Brani hésite sur les termes à employer.

— Monsieur, je sais qu'il passait beaucoup de temps avec deux infirmières de la maternité. Il les voyait souvent... très souvent et... ce n'était pas que pour le travail.

Nouveau silence.

— Il serait en train de batifoler juste après un travail pareil ? Je n'y crois pas, mais vérifie tout de même. L'absence de Simon, justement ce soir, ne me dit rien qui vaille. Enquête sur la piste des infirmières, car tu n'as pas tort, je crois qu'à force, il est devenu un peu trop proche d'elles.

— Bien Monsieur.

— Brani ?

— Oui Monsieur ?

— Tu agis en dehors de l'hôpital, je ne veux pas d'enquête dans cet établissement. Il est impératif de ne pas attirer l'attention.

— D'accord Monsieur.

— Et...

Un nouveau silence.

— N'agis pas seul. Si c'est autre chose qu'une simple histoire de fesses je veux que tu sois prêt à y faire face. Tu as les ressources suffisantes ?

— Ne vous inquiétez pas, les hommes de Monsieur Constantin sont arrivés la semaine dernière. Nous sommes en force.

— Parfait... Brani, une dernière chose.

— Oui Monsieur ?

— Tu as carte blanche, mais ramène-moi Simon.

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant