Chapitre 3 - David - Déboussolés

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Le van aménagé en limousine occulte tous repères. Les sièges confortables et le seau à champagne ne suffisent pas à camoufler la supercherie. Dans l'habitacle confiné, la tension est palpable. Aucun signe extérieur n'est visible, les fenêtres sont obturées. Ce n'est pas un hôtel mouvant, mais une prison de luxe. À l'intérieur, une cloison capitonnée sépare le chauffeur des passagers afin de parfaire un isolement complet. David jette un œil sur son smartphone, aucun signal. Un dispositif semble à l'œuvre. Depuis les premiers kilomètres, aucun réseau ne filtre. Résigné, il calque son attitude sur celle de Léon et Tobias. Calmes, les mains posées sur les genoux, concentrés, ils donnent l'impression d'être de grands sportifs à l'aube du match de leur vie. Jenny quant à elle est restée à l'hôtel, « au cas où ».

Le van multiplie les virages. Impossible de retenir le tracé du trajet à partir des sensations, tout est mis en œuvre pour perturber les sens de ses occupants.

Enfin, après plus d'une heure de route, le véhicule ralentit et puis, s'arrête. Les portières avant claquent, du bruit sur la carrosserie donne l'impression que l'on escalade la limousine. Les occupants échangent des regards inquiets. Quelques secondes s'écoulent, rythmées par d'étranges cliquetis métalliques. Tobias porte une main vers la poche intérieure de son veston. Son geste percute le secrétaire. Serait-il armé ?

La porte principale du van coulisse sur son rail. Elle dévoile un long couloir sombre que quelques spots éclairent. La mise en scène casse une nouvelle fois les repères. L'impression d'être plongé dans un monde différent s'accroît. Les cloisons sont faites de toiles noires. Des tentures occultantes, tendues du sol au plafond s'étirent dans un alignement parfait. Cette technique de toile tendue habillerait n'importe quel endroit, avec en prime le don de transformer le banal en mystique.

Tobias s'élance suivi de Léon et enfin David. Le secrétaire ne peut s'empêcher de toucher la paroi sombre étiré à l'extrême est presque rigide. Ce tissu synthétique d'un noir profond, pointillées de quelques spots donnent des allures sidérales au couloir. Peu à peu, les points lumineux s'amenuisent et les contours disparaissent. L'atmosphère ténue plonge les arrivants dans un océan d'encre. Les trois visiteurs évoluent avec prudence. Un mélange de tension, d'inquiétude et de curiosité les tenaille.

Tobias, le meneur, ralentit. Il tend la main. Ses doigts rencontrent un rideau.

— Il y a une tenture droit devant nous.

Sans attendre de réponses, il se glisse derrière elle et dans la seconde qui suit, disparaît littéralement du champ de vision de ses acolytes. Léon murmure :

— Ils sont forts, très forts.

À son tour, le PDG avance suivi de près par son secrétaire. Les pans de tissus ondulent. Les invités traversent le voile à tâtons et ressentent une curieuse impression, celle d'être caressés par une ombre.

Un léger brouhaha leur parvient, mélange de sons indistincts dont la clameur rappelle peut-être celle des halls de gare. Le dernier rideau s'écarte sur une porte, une porte close. Une dernière étape les sépare d'un univers nouveau, un monde bruyant et inconnu.


L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant