À la seconde où Max s'élance à l'assaut de la toiture, le sentiment de faire fausse route l'envahit. Ce n'est pas un doute, mais une certitude, toute cette expédition est une très mauvaise idée. Les bras tendus, il ressent la pluie froide longer sa nuque pour s'infiltrer le long de sa colonne. Ses mains s'accrochent au rebord d'une gouttière débordante. Un jus poisseux s'écoule entre ses doigts. Le vent fouette son visage. Max bloque sa respiration et s'envole pour se rattraper par un appui tendu. Trop tard pour reculer, au plus vite il sera à l'intérieur, au plus vite il pourra se mettre à l'abri et ensuite, on verra...
Il utilise son genou comme point d'appui avant de se rétablir sur la plateforme. Les bourrasques menacent son équilibre et la toiture glisse comme une patinoire. Il s'en veut d'avoir suivi une idée aussi stupide. Tout en prudence, il avance à petits pas en direction de la fenêtre grande ouverte. Nic avait vu juste, le passage est bel et bien libre.
Devant la baie, il ose un regard, tout semble endormi. Nouvel appui sur la tablette en pierre bleue, plus facile cette fois. L'ouverture s'élève à un mètre cinquante, une hauteur tout à fait acceptable pour lui. Au moment où sa chaussure se pose sur le rebord de la fenêtre, sa semelle humide glisse sur la pierre reluisante. Max perd l'équilibre. Ses doigts se crispent sur ses prises, mais en vain. Il perd pied et bascule vers l'arrière. L'ado ressent une poigne glacée lui resserrer le cœur alors que la peur l'envahit. Les décors de la façade s'éloignent, il tombe à la renverse. Heureusement pour lui le choc est rapide et uniforme, il s'est étalé de tout son long sur la toiture. Accueilli par un matelas métallique, il grogne. Son dos proteste. Après quelques secondes, Max estime l'accident sans gravité. Le vacarme de sa chute n'est pas passé inaperçu, dans le contrebas, ses amis lui demandent :
- Max ? Ça va ? rien de cassé ?
Trop en colère pour répondre, il se contente de pousser un juron en se redressant. Il murmure pour lui-même ;
- Facile comme une perforatrice, je vais te la faire manger ta perforatrice !
Max se lance dans une nouvelle tentative. Prudence et maîtrise sont au rendez-vous. Cette fois, il s'introduit pour de bon dans le bâtiment. Dans le bureau, une odeur d'humidité et de tabac froid lui assaille les narines. Assis sur le rebord de la fenêtre, Maxime utilise la lampe de son smartphone pour observer l'intérieur d'apparence banale. Juste devant lui se dévoile un plan de travail surmonté d'un écran, d'une tour d'ordinateur et d'un laptop. En face, une porte close et sur les côtés, deux rangées d'armoires. Max remarque une flaque d'eau s'arrondir sous ses pieds. D'une mine inquiète, il inspecte ses baskets salies par sa course sous la pluie. S'il ne prend pas de précaution, il risque de laisser des marques bien visibles. Son passage doit rester inaperçu. Il décide de retirer ses chaussures avant d'aller plus loin. L'eau lui glace la plante des pieds. Sur le point de quitter les lieux, un détail attire son attention. Un post-it collé sur le moniteur de l'ordinateur, un post-it sur lequel il peut lire : «#%Mustang123%# ».
Maxime secoue un visage désolé, ces éducateurs sont quand même pathétiques. La graine de la curiosité germe en lui. L'ordinateur ne fonctionnera pas sans courant, mais le portable peut-être. Rapidement, il s'installe et ouvre le laptop. En veille, 22 % de batterie, parfait. La fenêtre du mot de passe s'affiche. Max insère «#%Mustang123%#» et la seconde suivante, l'image de ladite mustang décapotable bleue crève l'écran. Max sourit d'aise, il est entré !
La tentation devient irrésistible, il se focalise sur les dossiers du surveillant dans l'espoir de trouver des documents sauvegardés en « local ». Tout informaticien vous dirait que c'est à proscrire, les informations sensibles doivent rester sur un réseau sécurisé et en aucun cas être copiées sur un outil externe. Un regard sur le cendrier plein et sur le post-it suffit à convaincre Max, avec Starsky, tout est possible. Les doigts pianotent d'eux-mêmes sur le clavier. Le visage de l'ado s'éclaire. Bingo ! Sous ses yeux victorieux s'affiche une multitude de fichiers scolaires. Maxime secoue un visage réprobateur. Ce mec a quasiment copié tout ce qu'il pouvait, le disque dur est plein. Une aubaine ! Mais comment s'y retrouver dans un amalgame pareil ? Et puis, que chercher ? La curiosité le pousse à faire une recherche sur le nom de son ami Nicolas Trémy. D'après ses propres paroles, il semble passer beaucoup de temps dans ce bureau.
Lorsque la recherche se termine, une douzaine de fichiers apparaissent. Max penche la tête, l'école semble bien renseignée sur ses élèves. La souris sélectionne le premier dossier, un rapport médical incompréhensible. D'un jeu sur la molette, les documents défilent, prises de sang, protocoles, graphiques. L'instinct de Max lui lance des signaux inquiétants. Il ne s'attendait pas du tout à ce genre d'information. Le rapport médical est complet, trop complet. Une véritable évaluation fouillée des aptitudes et de chacun des marqueurs médicaux défile. Prises de sang, scans, radios, prélèvements.
Max plonge dans ses propres souvenirs. Lui-même avait dû subir un court test à l'effort au moment de l'inscription. Il se rappelle également une ou deux prises de sang, rien de bien méchant. Les données reprises dans ces fichiers dépassent tous les seuils de la normalité et brisent tous les principes du secret médical. De plus en plus soucieux, il sélectionne un dossier nommé I.Q.E.T., les initiales de Intellectual, Quotient Egalease, Test. Le test d'entrée pour mesurer le quotient intellectuel des élèves. Toute candidature d'admission à l'attention de l'Institut s'accompagne d'un test d'aptitude poussé. Maxime parcourt les résultats du bilan cognitif complet avec les subtests compréhension, vocabulaire, cubes, 3 D, matrices, spatial, logique, suites et abstractions... la liste se poursuit de manière continue. Son regard dégringole vers la conclusion. Le score de Nicolas Trémy s'inscrit tout à droite d'une distribution normale. La distribution normale est souvent appelée courbe de Gauss, un graphique en forme de préservatif, selon Max, tous les mathématiciens sont des obsédés.
Nic se place sur un honorable 115 et se classe au-dessus de la moyenne, soit parmi les 15 % des cerveaux les plus performants au monde. Seuls 2 % de la population atteignent les 130.
Plus bas, Max découvre que Nic subit des tests réguliers, pour suivre l'évolution de son quotient intellectuel. Son ami a intégré l'Institut l'année dernière. L'espion aux pieds nus poursuit son enquête. Il découvre une variation entre le test réalisé à l'entrée et les résultats plus récents. De manière très étrange, Max remarque que le quotient de Nic a évolué de 115 à 122 en une année à peine. Il s'est donc déplacé d'un niveau « au-dessus de la moyenne » à « Supérieur ».
De nouveaux indicateurs médicaux apparaissent à la suite des résultats. Des scans crâniensavec des zones du cerveau colorées qui semblent elles aussi évoluer d'image enimage. D'un click répulsif, il quitte la fenêtre. La gorge de l'espion postpubère s'assèche lorsqu'il découvre un autre dossier. Antécédents familiaux. Max hésite, puis hausse les épaules, si un vieil éducateur figé dans les années septante avec sa chevelure laineuse et ses cigarettes roulées est autorisé àlire ces informations, alors pourquoi pas lui ? Le nouveau dossier se reflète sur son visage. Il apprend que la famille de Nic a fait fortune dans le secteur de l'alimentaire. Le père de Nicolas, Serge est grossiste en fruits et légumes. Jusque-là, rien de particulier. Jusqu'à ce qu'un détail apparaisse. Serge fait partie des investisseurs privilégiés. En contrepartie d'un prix prohibitif, les portes du conseil d'administration de l'Institut se sont ouvertes. Max découvre enfin le prix énigmatique de sa mystérieuse inscription. Le ticket d'entrée d'un enfant d'actionnaire de l'Égaléase s'élève à une primeunique de cent cinquante mille euros suivie de trente-six versements mensuels de quinze mille euros pour couvrir les trois années d'étude, de quinze àdix-huit ans. Une addition totale de 690.000 €. À la signature de l'inscription, il y a une obligation de paiement, qu'importe si l'élève abandonne en cours de route ou non. Selon l'Institut, il n'existe pas meilleure préparation au monde pour prétendre ensuite aux plus prestigieuses universités et aux carrières qui en résultent. Tous les prochains dirigeants de ce monde sortiront de L'Égaléase. Max dont le propre Q.I. dépasse lui aussi la moyenne mesure immédiatement la portée d'une pareille école. Dès la base, une sélectionse fait sur les potentiels les plus prometteurs. Mais c'est bien le portefeuille et non le cerveau qui définit le critère. Ce n'est pas une école mais un centre de tri. L'Égaléase organise une sélection par le haut, un écrémage, la séparation entre l'huile et les sédiments. Les élus bénéficieront d'un programme privilégié. Dès leur premier emploi, ils s'envoleront vers les plus hautes strates. Pour les autres, ces postes ne seront pratiquement plus accessibles. Ces clés du succès détenues par une minorité accentueront le fossé. D'une part quelques puissants, de l'autre, un monde ignorant, exsangueet asservi. Max ferme la fenêtre en un clic. Un regard vers l'horloge lui indique que près d'un quart d'heure s'est déjà écoulé. Ses amis doivent l'attendre avec impatience. Il décide de quitter son poste lorsqu'une pensée le traverse. L'ado s'autorise une dernière manipulation. Dans le menu recherche, il pianote : Maxime Rupart. Son esprit ressent l'importance du moment. Il bloque sa respiration. D'un geste déterminé, il enfonce la touche"entrée" et dans le silence d'un sombre bureau, les secrets de soninscription s'affichent à l'écran.
VOUS LISEZ
L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]
Mystery / ThrillerDolores, sage-femme de profession, a reçu de nouvelles injections à administrer à sa très jeune patientèle. Pourra-t-elle encore laisser sa conscience de côté face à l'horreur de ses actes? Son fils vient d'intégrer un mystérieux Institut, L'Égaleas...