Chapitre 22 - Dolores - Infiltrée

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L'atrium absorbe la lumière pour la renvoyer sur le flot circulatoire des patients. Des consultations aux ascenseurs, c'est un mouvement de foule continu qui transite par ce hall lumineux. Au cœur de ces visiteurs, un membre du personnel dénote. Dolores. Sa nuit passée dans les bras d'Oscar l'a remplie de confiance, de plaisir et de chaleur. Être aimée prodigue une sensation sans égal dont la puissance libératrice permet l'accomplissement de soi. Aujourd'hui, Dolo est en pleine possession de ses moyens.

Au centre du hall lumineux se trouve un point gris. Derrière son siège, Börg, le réceptionniste, méprise les passants du regard. Son visage laiteux tremble a la manière d'un yaourt scandinave et sa peau granuleuse pourrait évoquer les flocons d'avoine.

Il perçoit l'infirmière d'assez loin. Il soupire d'avance alors que ses petits yeux gris rétrécissent en direction de la sage-femme.

Arrivée à sa hauteur, elle dépose son sac à main et lui lance :

— Salut Börg !

Le ton enjoué n'a aucun effet.

— Je te préviens, je n'ai pas le temps.

Dolo balaie le hall du regard, elle est pour l'instant la seule à vouloir le solliciter. Elle décide d'opter pour une tactique détournée.

— Figure-toi que je n'ai rien à te demander.

Il plisse les yeux à la recherche du piège.

— J'ai eu une bonne nouvelle à fêter et j'ai invité plusieurs collègues à manger du gâteau à la cafétéria.

— Je sais, je vous ai vus !

La réponse de Börg est plus sèche qu'il ne l'aurait voulu.

— Enfin, je veux dire, je vous ai vu passer. Je ne vous épiais pas...

Ses yeux tombent sur ses dossiers impeccablement rangés qu'il s'efforce d'aligner.

— Je me suis rendue compte que tu n'avais pas été convié. Je comprends que tu n'aies pas le temps, ton travail est très important et te demande beaucoup de concentration. Alors ne bouge pas de là, je m'occupe de tout, car cela me ferait plaisir de t'offrir une part de gâteau.

Le menton du réceptionniste tremble. Il laisse passer quelques instants dans l'attente d'une contrepartie, comme si la gentillesse ne pouvait venir sans une demande, comme si la spontanéité généreuse était une maladie, un mode opératoire en voie d'extinction, comme si donner sans rien attendre en retour n'existait plus. Après un silence dont la durée devient gênante, il souffle :

— Je n'ai pas faim.

Elle insiste.

— Tu pourras le manger plus tard, mais j'y tiens vraiment Börg.

— Je... j'aime les brownies.

Un éclat radieux embellit la sage-femme.

— Je vais te chercher cela tout de suite. Ne bouge pas !

Quelques instants plus tard, la livraison est effectuée. Ce n'est pas un gâteau qui est offert, c'est une petite graine qui promet de porter des fruits assez rapidement.

L'ascenseur s'ouvre sur l'étage de la maternité. Dolores sent l'énergie couler en elle. Une nuit avec Oscar et tout devient plus coloré, plus éclatant. Dans ces moments de grâce, tout peut être accompli. Elle choisit de commencer par le plus dangereux, par cette épine dans ses souliers, ou plutôt dans sa poche. Elle y glisse la main dans et rencontre l'objet de ses tourments. Rectangulaire, la clé USB repose bien là dans l'attente de créer une brèche dans le système informatique.

En passant dans les couloirs, elle salue Marie et Antoinette sans s'attarder. Ses pas la conduisent vers le bureau principal. Le décor consiste en quatre plans de travail surmontés d'ordinateurs. À leurs côtés, divers dossiers empilés attendent leur résolution avant classement dans les armoires murales. Sans attendre, sans même ôter sa veste, elle fonce sur son ordinateur. Elle pianote son mot de passe et pénètre dans le réseau hospitalier. Les battements de son cœur s'accélèrent. Un regard anxieux vers la porte la rassure, personne. Sa main plonge dans la poche et ressort le petit dispositif informatique. D'un geste rapide, elle insère la clé dans le port USB.

— Salut Dolo !

L'infirmière sursaute. Elle porte une main sur son visage. Marie se tient dans l'embrasure.

— Tu m'as fait peur !

— Oh pardon, je ne voulais pas. J'aurais pu attendre que tu t'installes...

Sur l'écran, une fenêtre noire se lance et un langage informatique incompréhensible défile.

— ... mais je devais te passer un message, un message important.

Elle avance d'un pas, le contenu de l'écran sera bientôt visible pour la chef de service. Dolo se lève et avance en direction de Marie, ce qui a pour effet de stopper son avancée.

— Aucun problème, je t'écoute, que se passe-t-il ?

— Astrid veut te voir.

L'infirmière ressent l'effet d'une douche froide. L'inspectrice veut la voir ?

— C'est à quel sujet ?

— Je ne sais pas, elle m'avait prévenue qu'elle pourrait effectuer quelques interviews avec l'une ou l'autre membre du personnel.

Derrière, l'écran change de couleur. Marie demande :

— Tu travailles sur quoi ?

Dolo répond sur un ton évasif.

— Je voulais juste vérifier mes jours de congés dans la base de données.

Elle glisse ensuite sur le ton de la confidence :

— J'ai un petit copain figure-toi et cela demande une adaptation de mon agenda.

Elle termine sa phrase par un clin d'œil, ce qui a le don de convaincre sa supérieure.

— Hmmm, ça m'a tout l'air d'être croustillant tout cela, d'ailleurs, je dois dire que tu as un très joli teint ce matin.

Sur un dernier sourire, Marie bat en retraite vers le couloir.

— Tu me raconteras tout cela autour d'un bon café. En attendant, ne traîne pas, Astrid est du genre à s'impatienter très vite...

Elle lève les yeux au ciel avant de disparaître. Lorsque Dolo revient vers son écran, le protocole informatique a finalisé son ouvrage et l'écran de veille est revenu. En un geste, la clé est retirée et le crime reste inaperçu, pour l'instant.

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant