Chapitre 27 - David - Les racines d'autrefois

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L'e-mail s'est abattu sur eux comme une guillotine. En quelques instants, les têtes ont roulé et Darville Entreprises s'est débarrassé de cinq mille employés. L'appétit coupé, Jenny et David ont quitté le restaurant.

Sur le pont de Prague, le soleil s'est couché et le musicien ne joue plus. Quelques lanternes à l'ancienne installées entre les statues diffusent une lueur faiblarde. Si les passants flânent, David et Jenny, eux, s'empressent. Le portable vissé à l'oreille, le secrétaire compose les numéros tour à tour. Léon, Tobias, Azizah, pas de réponse, rien. Entre chaque échec se glisse un juron de circonstance. L'hôtel se dessine au loin, mais ici, les solutions disparaissent une à une.

Un appel secoue le téléphone du secrétaire. L'espoir craque une allumette dans le noir de ses pensées, mais sur l'écran de son smartphone c'est le nom de sa Maman qui s'affiche. Il soupire et met la sonnerie en sourdine. Jenny lui demande :

— Des nouvelles ?

— Aucune.

Il tend son esprit vers la longue liste de directeurs qu'il côtoie à la recherche d'un contact capable de lui en dire plus. Un nom surgit de la multitude, comment n'y a-t-il pas pensé plus tôt. Il compose son numéro. Une sonnerie, deux sonneries ensuite, une réponse :

— Allo ?

— Bonsoir Lucie, excuse-moi de te déranger, mais...

Elle l'interrompt.

— Oh, David, je suis si contente que tu m'appelles.

La prétention habituelle de la jeune femme s'est évaporée. En quelques mots, il retrouve cette fille fragile avec qui il jouait lorsqu'il était enfant.

— Papa est devenu fou ! Depuis son retour de Prague, il me fait peur. Tout a changé en lui, je ne le reconnais plus.

David enregistre chaque parcelle d'information.

— Lucie, ces licenciements massifs n'ont aucun sens. Si tu veux tout savoir, j'ai moi aussi reçu un e-mail et je fais partie du lot. Je suis dégoûté.

— David, je ne sais pas quoi te dire, il agit de manière irrationnelle, impulsive et démesurée. Je ne sais pas qui lui a mis cette folie en tête, mais il s'est lancé dans le démantèlement de sa propre société. Ce n'est pas une simple vague de licenciement, c'est la liquidation pure et simple de l'entreprise familiale, un héritage qu'il s'est évertué à faire fructifier pendant toute sa vie.

Un silence. Elle ajoute d'un ton plus bas, comme sous le couvert d'une confidence :

— David, je ne sais vraiment pas quoi faire, Papa crie sans retenue. Ses propos ne tiennent pas debout, des histoires de fin du monde, de conquêtes, d'enjeu essentiel dont il doit faire partie. Il utilise les services de Loyds & Stanley pour tout démanteler...

David se souvient de la réunion passée où Léon clamait haut et fort qu'il ne risquerait jamais la solidité de sa société.

— Ils liquident pratiquement toutes ses branches et tout le personnel qui les accompagne. Apparemment, il aurait besoin d'une somme astronomique pour un nouveau programme. Un investissement pharaonique qu'il compte rediriger je ne sais où.

Un nouveau silence, le secrétaire ne sait que dire et se contente d'ingérer les informations. Lucie lui a tout balancé à la figure, comme si, elle-même, souffrait d'un trop-plein qu'il lui fallait déverser.

— David, je suis perdue... Il ne m'écoute plus, en fait, il n'écoute plus personne. J'aimerais que tu essaies de lui parler. Ton père comptait beaucoup pour lui et je sais qu'il a beaucoup d'affection pour toi. Te voir le ramènera peut-être à la raison...

— Tu crois ? Quand est-il de ta Maman ?

— Oh, aucune chance de ce côté-là, depuis le divorce, ils se détestent.

David soupire.

— Je ne suis pas certain que me voir changera quoi que ce soit. J'ai déjà essayé de l'appeler à plusieurs reprises, mais sans succès.

— Je... Je n'en sais rien David, mais ta présence lui ferait du bien... à moi aussi d'ailleurs.

Un silence. Le secrétaire murmure avec une légère vibration dans la voix.

— Tu peux compter sur moi Lucie...

À ses côtés, Jenny détourne les yeux. Le pont rapetisse derrière eux alors que devant, les marches de l'hôtel se rapprochent. David poursuit :

— Tu penses que le jet peut encore être utilisé ?

— Je n'en sais rien, mais vu la situation, cela me semble compromis, il coupe dans toutes les dépenses non essentielles.

— Je vois.

— David, j'entends du bruit, je crois qu'il rentre à la maison, je dois te laisser.

— Au revoir Lucie, n'aie crainte, je serai vite de retour.

Lorsqu'il raccroche, il s'adresse à Jenny dont le regard froid fixe la réception de l'hôtel. Le reflet bleu électrique de la devanture miroite dans son regard. David prend la parole de manière lente, comme s'il avait du mal à croire en ses propres paroles :

— Léon démantèle son entreprise pour investir dans un nouveau programme.

Elle fixe de longues secondes le vide avant de se retourner vers le secrétaire qu'elle transperce d'un regard d'acier.

— La situation nous échappe David ! Je vais plancher sur le sujet. Pendant ce temps, essaie de nous trouver un vol pour rentrer au plus vite.

Sans attendre de réponse, elle gravit quelques marches en direction de l'entrée. Elle s'arrête à mi-parcours, se retourne et lui lance sur un ton neutre :

— J'attends que tu récupères tes affaires dans ma chambre, tu peux retourner dans tes appartements à présent, la mascarade est terminée.


L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant