Chapitre 23 - Max - Syndi

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La porte s'ouvre sur la classe de l'Institut, un amphithéâtre pourvu de pupitres « deux personnes » accueille le flot d'étudiants. Ils se frôlent en traînant les pieds. L'élitisme n'atteint pas encore les hormones et à quinze ans, recevoir des instructions toute la journée ne représente pas encore un but en soi. Les plans de travail interactifs reçoivent les étudiants en duo, les places sont libres. Qu'importe avec qui, tant qu'ils s'asseyent. Aujourd'hui, Chloé attend Max avec impatience. L'entrée de ce dernier passe inaperçue malgré son allure débraillée et une tête à faire peur.

Ils dégottent un bureau disponible au fond de la classe et s'installent sans enthousiasme. Les présences sont prises par un scan d'empreintes digitales, il suffit de poser la paume sur le plan de travail tactile. La main est scannée, tout comme la température, le rythme cardiaque et même la tension artérielle. Max repense immédiatement aux dossiers médicaux personnalisés. À bien y réfléchir, leur santé et tout un tas d'autres paramètres sont relevés de manières aussi anodines que régulières, et ce, à différents moments de la journée. La gorge de Max est un peu plus sèche que de coutume.

8h14 : leur instructeur ne sera là que dans 15 minutes.

8h15 : un petit tiroir se déverrouille et libère « Syndi », un serre-tête connecté. Syndi est la contraction de Synapse et de dimension. Un outil prévu pour amener la matière grise à un autre niveau de compétences. Les étudiants de l'Institut pourraient se comparer à des voitures de courses, des formules 1, la pointe intellectuelle de demain. Chloé et Max se ceignent de leurs couronnes technologiques. Les capteurs se mettent en phase avec leurs systèmes neuronaux. Le contact est doux. Les écrans de chaque poste de travail s'allument.

Les étudiants choisissent sur l'écran un véhicule rigolo ; une motoneige qui rejette de la crème fraîche, des skis jaunes qui évoqueraient deux frites ou une bouée en forme de banane, qu'importe. Les étudiants choisissent leur véhicule par la pensée. Avec un peu d'entraînement, il devient facile pour l'étudiant de choisir avec l'esprit. Il s'agit d'intégrer un nouveau langage sans paroles qui s'apprend par « essai erreur ». Penser à une couleur, à une forme ou même à une émotion génère une activité cérébrale particulière. L'ordinateur la capte et en traduit un ordre. Par exemple, si l'élève pense à deux rectangles jaunes, l'ordinateur traduira que le choix se porte sur les skis en forme de frites. Si l'exemple semble grossier, il constitue une voie d'entrée intéressante pour des exercices plus poussés.

La course commence. Au sommet d'une montagne, le jeu propose aux joueurs de dévaler la pente le plus vite possible. Le capteur neuronal analyse l'activité du cortex préfrontal. En pensant d'une certaine manière, le personnage à l'écran accélère. Dans cet exercice particulier, il est important de noter que ce n'est plus la pensée de l'étudiant qui influence le choix de l'ordinateur, l'exercice est inverse ! L'ordinateur fixe des critères que l'étudiant doit atteindre pour gagner le jeu. Dans ce cas précis, certaines zones du cerveau doivent être activées pour que le personnage à l'écran dévale plus vite la pente. Pour pouvoir accélérer, l'étudiant doit se concentrer jusqu'à ce qu'il se mette en phase avec les critères requis. En réalité, l'ordinateur demande pour accélérer la descente une augmentation d'afflux sanguin du cortex préfrontal. Solliciter cette zone améliore son irrigation et son oxygénation. Si l'élève y parvient, l'ordinateur génère une récompense. Il gagne des points et le personnage à l'écran accélère, ce qui procure du plaisir. À force de s'entraîner, les étudiants parviennent presque instantanément à solliciter cette partie du cerveau. Ce petit exercice régulier améliore les capacités de concentration, de mémoire, la qualité du sommeil, une diminution du stress et par voie de conséquence un potentiel énergétique plus élevé.

Démarrer la journée par quinze minutes d'exercices mentaux permet non seulement à l'étudiant de gagner en capacité d'absorption pour la journée, mais en plus, il entraîne son cerveau et le rend plus performant sur le long terme.

Aujourd'hui, deux cerveaux sont moins alertes que d'habitude. Un diagnostic rapide pourrait conclure à un sommeil agité ou à une nuit de mauvaise qualité, mais en réalité, Max et Chloé ne parviennent pas à se concentrer. Leurs esprits restent figés sur cette porte qui ne s'ouvre pas. Les minutes s'écoulent et un siège reste désespérément vide, il manque un élève. Nic reste aux abonnés absents.

La porte de la classe s'ouvre. Par réflexe conditionné les élèves vérifient l'heure : 8h24. La porte ne devrait pas s'ouvrir maintenant, les cours ne commenceront que dans 6 minutes. Chloé et Max sursautent. L'espace d'un instant, ils pensent retrouver leur ami, mais leurs espoirs ne sont que de courte durée. Monsieur Lampon, le directeur que tout le monde surnomme Lampion, entre. Grand, bien taillé, les cheveux grisonnants coiffés vers l'avant, il aurait sa place comme lieutenant instructeur dans un institut de redressement militaire. Austère la plupart du temps, il dégage cette fois une aura destructrice. Sa voix pleine d'autorité tonne dans la classe.

— Veuillez cesser votre exercice sur-le-champ !

À sa suite, deux hommes en tenue de civil entrent dans la classe. Le premier, un barbu poupin aux cheveux ondulés respire l'hygiène douteuse. Celui-là n'a pas vu de douche depuis au moins une semaine. Vient ensuite une dame mince, sèche, à l'âge indéfinissable et à l'allure aussi noueuse qu'un fil barbelé. Leurs brassards orangés indiquent qu'ils appartiennent aux forces de l'ordre. Un silence complet pressurise les lieux. Chloé ne peut retenir un regard inquiet en direction de Max. Lampion s'adresse à la classe de manière grave.

— Chers élèves, je suis au regret de vous faire part d'un malheureux accident qui s'est produit la nuit dernière.

Sous la table, Chloé glisse ses doigts vers ceux de Max, ils se nouent et se serrent les uns aux autres comme s'ils envisageaient le pire.

— Un de vos camarades, Nicolas Trémy, a trouvé opportun de profiter de la coupure de courant pour s'introduire dans les cuisines de l'Institut...

Derrière le directeur, les deux inspecteurs observent la classe comme deux vautours guettant un mouvement.

— Il a dérobé deux bouteilles de champagne qu'il a cru bon de boire sur la plateforme ouest de l'école.

Chloé lance un nouveau regard vers Max qui s'obstine à fixer le vague, droit devant lui.

— L'alcool, le sol glissant de la toiture détrempée et les grands vents de la tempête l'ont précipité dans le vide.

La classe tout entière retient son souffle.

— Chers étudiants, Nicolas Trémy est décédé cette nuit vers les trois heures du matin.

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant