Derrière la baie vitrée, ils sont désormais trois à se partager le plateau de framboises. Dolo et Valy sourient plus que d'habitude et pour cause, un invité de choix les a rejointes, le délicieux Oscar éclaire leur table de sa présence.
— Promis les filles, la prochaine fois qu'une dingue vient pour accoucher, je regarderai d'abord le planning et, si vous êtes de quart, je passerai mon chemin.
Le latino laisse éclater son sourire. Valy glisse ses doigts dans ses cheveux dorés.
— Et tu lui demanderas de serrer les cuisses c'est ça ?
Oscar répond par un hochement de tête évasif, il n'a d'yeux que pour Dolo. L'urgentiste demande :
— Tu as un garçon, je crois ?
Un pincement tenaille la sage-femme. Elle lève ses yeux noisette vers son interlocuteur. Elle n'y voit que candeur, sincérité et un visage d'ange. Ses barrières fondent.
— Oui, un ado de quinze ans. Son père est parti à sa naissance, alors c'est juste lui et moi, depuis un bail maintenant.
Mère à dix-huit ans à peine, Dolo n'a pas vraiment vécu un conte de fées. Valy regarde tout à coup sa montre.
— Mince ! Je dois vous laisser, j'ai un rendez-vous.
Elle lance du bout des lèvres à l'attention de son amie :
— Coco...
Oscar la salue brièvement tandis que Dolo lui répond par un clin d'œil.
— Bonne chance ma belle.
— Merci ! À tout à l'heure !
La jeune infirmière se déplace comme un vent frais et l'instant d'après, Oscar et Dolo se retrouvent en tête à tête. Elle lui demande :
— Et toi ? Tu as aussi une fille à peu près du même âge non ?
Il pioche dans la pyramide de framboises et approuve d'un mouvement de tête. Dolo ne peut s'empêcher d'admirer l'effet de la mastication sur la peau lisse de ses joues. Il possède vraiment un visage parfait. Lorsqu'elle se rend compte qu'elle le fixe avec insistance, ses yeux tombent vers son café. Elle ressent un léger picotement au niveau de ses joues et dans le creux de son ventre. Oscar répond sur un ton enjoué.
— Aline vient de fêter ses dix ans, sa mère aussi est partie, visiblement les grosses cylindrées comptent plus pour elle que les sentiments.
Une ombre passe sur le visage du Don Juan.
— Depuis, je déteste les gens superficiels.
L'infirmière ressent un courant chaud la traverser.
— Père célibataire donc, et comment t'en sors-tu ?
Il lui lance un sourire empli d'amertume, chargé des souvenirs d'une vie gagnée à force de déchirures.
— J'ai la chance d'avoir une famille solide. Mes parents interviennent régulièrement, ils gèrent la plupart des trajets à l'école, les devoirs, certains repas et je n'aborde même pas la question des congés scolaires. Je ne sais pas comment j'y arriverais sans eux, avec nos horaires, ce serait une catastrophe.
— Sans parler du salaire.
— Exactement !
Ils échangent un regard complice.
— Et comment fais-tu avec ton fils ?
Elle répond sur un ton évasif.
— Maintenant qu'il est plus grand, ça va, il se gère presque de manière autonome, mais ses études ne prennent pas un bon chemin. Un enfant a besoin d'un cadre, c'est impératif. Il lui faut des barrières à éprouver, quelqu'un à qui se confronter pour mieux comprendre comment se positionner. Un enfant a besoin d'un...
Elle sourit en s'entendant parler.
— Enfin bref, c'est la raison pour laquelle il a rejoint un internat.
Oscar approche, croise les mains comme s'il allait entamer une prière. Dolo frémit, il a failli la toucher.
— À ce sujet, j'ai entendu parler de ce nouveau centre pour jeunes étudiants au nord de Paris. L'Égaléase, tu connais ?
Dolo incline la tête sans piper mot. Il poursuit :
— Il paraît qu'ils adoptent des techniques d'enseignement révolutionnaires, de quoi former les futurs dirigeants de demain.
L'infirmière opine du chef :
— Un truc d'élitiste...
Le visage de l'infirmier dodeline.
— Pas tout à fait. La moitié des élèves paient leur inscription un prix exorbitant, l'autre moitié gagnent leur place via un système de loterie. Bref, les riches paient pour les pauvres. On pourrait croire que ce surcoût les rebuterait, mais non, les inscriptions sont complètes pour les années à venir. Pour ce qui est de la loterie, elle a lieu vers le mois de décembre afin de permettre aux parents de s'organiser pour la rentrée de septembre. Une meilleure chance d'égalité, d'où le nom de l'institution je crois.
— Une loterie, une meilleure chance d'égalité ? Encore faut-il que ce soit fait de manière vraiment équitable...
Oscar avale une nouvelle framboise et poursuit sur un ton rêveur.
— Quand on sait ce que coûte un internat et tu es bien placée pour le savoir, c'est une véritable aubaine pour les parents. Tu imagines ? Offrir un enseignement à la pointe sans devoir se saigner sur trois générations. Ma fille, Aline, sera éligible dans deux ans, je l'ai inscrite sur le site. J'espère que la chance nous sourira !
Dolo remue la tigette dans son gobelet en carton.
— J'avoue que cela fait rêver, un enseignement révolutionnaire, de quoi assurer pour nos enfants des études de haut vol et les carrières qui vont avec. Mais quand on y pense, cela marquera un nouveau fossé. Il y aura ceux qui auront droit aux études d'exception... et puis à la traîne, tous les autres.
— C'est déjà le cas.
— Ce le sera encore plus.
Elle repousse sa cuillère en bois d'un geste fauve.
— Quand je pense qu'on bosse nuit et jour pour payer le loyer d'un appart qui ne nous appartiendra jamais et que nos enfants sont partis pour suivre le même chemin, ça me prend aux tripes.
Elle n'est jamais aussi belle que lorsqu'elle parle avec passion. Le charme opère, la main d'Oscar frôle celle de l'infirmière. Surprise, Dolo relève la tête. Oscar s'approche, son regard intense plonge dans le sien. Sans qu'elle puisse réagir, il tend le cou et avance le visage. Un courant électrique les parcourt, leurs lèvres se frôlent et en un souffle, ils échangent le plus délicat des baisers.
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L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]
Misterio / SuspensoDolores, sage-femme de profession, a reçu de nouvelles injections à administrer à sa très jeune patientèle. Pourra-t-elle encore laisser sa conscience de côté face à l'horreur de ses actes? Son fils vient d'intégrer un mystérieux Institut, L'Égaleas...