Chapitre 15 - Dolores - Babysitter

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La scène s'est déroulée sur fond noir et blanc. Lorsque le sang n'irrigue plus les vaisseaux capillaires, tout devient plus terne. Les cernes se creusent et noircissent tandis que les joues blêmissent. Le souffle et le cœur de Dolores et Mike se sont arrêtés. Leurs visages sont devenus cadavériques et éclaboussés de sang, le sang de leurs assaillants. Des détonations ont claqué, Oscar et Brani sont tombés. Ensuite, les cœurs de Mike et Dolores se sont remis à battre et leur respiration est revenue.

Dolores ne parvient pas à bouger. Écroulée sur le sol, tétanisée, sous le choc, elle se contente de hoqueter par intermittence :

Max... Max...

L'écho reste sans réponse. Dans la cafétaria délabrée, trois individus se tiennent debout, dans l'ombre. La lampe verte de l'issue de secours éclaire leurs silhouettes spectrales et donne au tableau des allures de guérilla urbaine. Le premier des hommes avance, jusqu'à ce que son visage devienne visible. Tobias. À sa suite, ses hommes de confiance armés de fusils de chasse gardent leurs carabines en joue. Le directeur opérationnel avance dans un bruit de verre brisé. Arrivé à hauteur de Dolores, il observe l'infirmière. Il lui sourit et lui tend une main, sincère, solide, emplie de réconfort. Les larmes jaillissent, elles explosent et dégoulinent sur le visage de l'infirmière. Elle saisit la main tendue, se hisse et plonge dans les bras de son sauveur. Le geste surprend le Grec qui écarte les bras. Dans sa main droite, il tient toujours son encombrant Beretta et ne sait trop quelle attitude adopter. Elle tremble. Un seul mot émane d'elle :

— Max... Max...

Impuissante, tétanisée, elle ne parvient pas à se dégager de son écrin protecteur. La réalité, trop dure pour son esprit saturé d'horreur, se dissocie d'elle. Ses pensées se focalisent sur son fils, mais son corps refuse de bouger. Parfois, il est plus facile de ne pas savoir. Parfois, la force nous abandonne purement et simplement.

Mike, lui, se rue vers Julie. En proie à une profonde détresse, il vérifie successivement son pouls, sa respiration, il en vient même à poser son oreille sur le cœur de sa femme, encore et encore. Terrassé par l'évidence, il glisse les bras sous le corps de sa femme et l'attire tout contre lui. Le chagrin envahit ses yeux. Dans le silence d'un magasin délabré, les pleurs du deuil sont la seule réponse possible face aux ravages d'une milice aveugle.

Tobias observe le cadavre d'Oscar. Il murmure :

— Ce fils de pute était avec eux depuis le début.

Dolo enfonce son visage dans le torse de son sauveur. Tobias ressent la poitrine de l'infirmière pointer sur son thorax et éprouve des frémissements. Elle pleure à chaudes larmes.

— Max...

Tobias pose une main sur les épaules de Dolores et l'écarte doucement pour plonger son regard dans le sien. Malgré la situation incongrue, il ne peut s'empêcher de la trouver jolie. Il parle de sa voix grave et rocailleuse.

— Si ces hommes ont employé la manière forte pour venir vous chercher, c'est que vous possédez des informations importantes.

Elle secoue la tête, ouvre la bouche, mais ne libère qu'un filet de bave.

— Hey... regardez-moi... regardez-moi !

Elle plonge ses yeux dans les siens.

— Qu'importe ce qu'il s'est passé. Nous sommes dans le même camp. Nous voulons tous la même chose, faire tomber l'homme à la tête de ces hommes. Quoi que vous ayez fait, cela nous aidera à les atteindre, j'en suis persuadé.

Ils échangent un regard vibrant lorsqu'il ajoute :

— Je vous ai sauvés et il est hors de question que je vous laisse tomber.

Dolo ferme les yeux. Elle ne parvient plus à réfléchir.

— Regardez-moi Dolores.

Son regard rencontre à nouveau celui de Tobias. Son visage ne reflète que de la sincérité lorsqu'il lui dit :

— Nous allons vous sortir de là, nous allons nous en sortir ensemble, je vous le promets.

Quelque chose de fort, de puissant, de rassurant émane de cet homme. Perdue, elle ne peut que s'y raccrocher. En silence, elle se contente de hocher la tête en signe d'approbation. Puis elle murmure à nouveau :

— Max...

Du bruit leur parvient du fond du magasin. Tobias se raidit et lève son arme. Il aperçoit deux adolescents. Ils émergent du fond de la pièce. Du sang macule leur visage, visiblement, ils se sont battus. L'infirmière bondit et s'interpose entre l'arme et les arrivants.

— Max !

Dolores remarque immédiatement leur état ensanglanté. Elle jaillit vers son fils.

— Max ? Que t'est-il arrivé ?

L'adolescent secoue un visage désolé.

— Aux premiers coups de feu, j'ai vu qu'Oscar ne prenait pas part au conflit. J'ai tenté d'intervenir, mais il s'y attendait. Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, il nous a frappés... fort... tous les deux. Je ne l'ai pas vu venir... Je... Je suis désolé.

Un silence. La mère prend son fils dans ses bras. Elle le serre de toutes ses forces et libère un nouveau flot de larmes. D'un regard en coin, l'infirmière observe le cadavre de son ex. Une haine monumentale grandit dans son cœur. S'il n'était pas déjà mort, elle le tuerait sans doute.

Chloé titube vers le centre de la pièce. Quelque chose l'attire, sans comprendre pourquoi. Tous les regards pivotent dans sa direction. Lorsqu'elle arrive devant le cadavre de Brani, elle s'immobilise. L'adolescente le fixe de longues secondes. Elle redresse ensuite un visage mortifié vers ses amis pendus à ses lèvres. Elle leur murmure entre deux sanglots horrifiés :

— Je... je connais cet homme. Il travaille pour mon père.


L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant