Chapitre 18 - Jenny - L'intuition féminine

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Dans la cuisine, l'heure est aux révélations. Jenny semble avoir percé le secret de Task et s'apprête à partager ses soupçons avec David. À cet instant, la porte s'ouvre. Lucie entre et Jenny se raidit. La jeune Darville s'immobilise à quelques pas de la porte et leur annonce :

— Il est presque cinq heures du matin. La journée a été éprouvante, je suis exténuée. Je vais aller me coucher.

Elle pose son regard clair sur le nouveau dirigeant de Darville Entreprises.

— Je ne compte pas mettre de réveil. Vous avez les ressources nécessaires et toute ma confiance pour résoudre cette affaire. Après tout, c'est à vous que Papa avait confié l'enquête.

Ses derniers mots tombent avec un peu plus d'amertume qu'elle ne l'aurait voulu. Elle chasse ses mauvaises pensées et se contente de clôturer sur un sourire de circonstance. La porte se referme. David et Jenny sont à nouveau seuls. La directrice ne peut s'empêcher de dire :

— Alors qu'est-ce que tu attends ?

David l'observe, interloqué.

— C'est évident, elle veut que tu la rejoignes.

La directrice fait mine de replonger vers son écran. David se lève. Elle tente de l'ignorer. Il s'approche d'elle, elle feint le désintérêt total. Le jeune homme la frôle. Il murmure.

— Jenny...

Elle se fige, comme si son nom murmuré provoquait en elle une vague émotionnelle incontrôlable. D'une main glissée dans les cheveux, il la rassure, il la trouble aussi. Le mélange est vibrant, elle a l'impression de perdre pied. Ses lèvres s'écartent, son rythme cardiaque s'accélère. Dans son ventre, des fourmillements s'ajoutent aux sensations confuses. Elle lève vers lui son regard désarmé. Leurs yeux brillent et sans rien ajouter, il clôt le débat. Dans un souffle, leurs lèvres se rencontrent et le plus doux des baisers s'échange.

*

Le temps s'est figé, immobile, intemporel, éternel, continu et instantané. Leur baiser a brisé toutes les lois pour laisser éclater un nouveau soleil, celui de deux cœurs qui se rencontrent.

Lorsque le cours des choses a repris, quelque chose d'impalpable a changé en eux. Une inflexion dans le continuum opère, Jenny et David ne sont plus les mêmes, comme si deux atomes solitaires venaient d'entrer en collision. Ils se sont percutés en pleine course, ils ont fusionné et la structure de l'un et de l'autre s'est vue modifiée. C'est peut-être cela l'amour, du point de vue d'un physicien.

Jenny revient vers l'ordinateur et tente de reprendre pied. Elle énumère les faits un à un :

— Souviens-toi David, je t'avais dit que Task s'était approprié le code de l'intelligence artificielle. Celui que mon patron Bill Doors avait mis au monde. Ensuite Task avait utilisé sa mort et l'incendie de ses serveurs pour racheter, à vil prix, les licences de son super ordinateur Randy³.

Le jeune dirigeant hoche la tête et répond :

— Tu m'avais aussi dit qu'au vu de la technologie dévoilée à Prague, leur niveau de performance dépassait largement ce que Randy³ pouvait fournir. Pour pouvoir traiter une telle masse de données, un ordinateur quantique était sans doute à l'œuvre.

— Exact.

Jenny prend une longue inspiration.

— Sauf que la technologie nécessaire pour cela n'existe pas sur Terre, j'ai retourné le problème de toutes les manières possibles. Pour fonctionner correctement, l'ordinateur quantique impose des contraintes titanesques. Aucune perturbation d'aucune nature ne doit interférer avec ses calculs. Aussi, il doit être plongé dans le noir, raison pour laquelle les prototypes sont protégés par d'épaisses cuves. De l'extérieur, ces prototypes ressemblent plus à des chaudières industrielles qu'à des ordinateurs. Comprends-moi, cette technologie nécessite une infrastructure complexe. Elle demande des isotopes rares d'hélium pour assurer leur refroidissement. Ce refroidissement est indispensable pour permettre aux bits quantiques de conserver leurs propriétés.

David hoche doucement la tête.

— Et si le souvenir de nos conversations est exact, l'isolement et le refroidissement parfaits ne sont jamais atteints, ce qui génère des faux positifs dans les prototypes quantiques. Donc, malgré la suprématie quantique annoncée par Task, son processeur de 53 Qbit commet des erreurs. Environ une sur mille, ce qui, multiplié par les milliards d'opérations de l'ordinateur, crée de sérieux problèmes de fiabilité.

Jenny dodeline de la tête.

— C'est un raccourci un peu simpliste, mais cela ressemble à cela.

Le regard de la directrice devient assassin, comme si elle tenait le responsable de tous ces maux à portée de main.

— À présent, je te demande quel lien pourrais-tu établir entre l'ordinateur quantique et le projet spatial de Task.

Un silence.

— Tu crois que...

— J'en suis même certaine... Derrière ses projets loufoques de tourisme spatial et de conquête de l'univers, Task a utilisé ses lanceurs tests pour un projet secret.

David hoche doucement la tête.

— À bien y réfléchir, l'espace est le meilleur endroit pour isoler un processeur quantique de toute interférence.

— Exactement. Le degré d'isolement pour obtenir un résultat fiable doit être total. Aucune onde, ni aucune particule de lumière ne doit venir agiter les atomes observés par l'ordinateur. Aussi, le froid doit être absolu et l'absence de choc ou de pression atmosphérique doit être totale !

Le jeune dirigeant répète :

— L'espace...

— Oui ! L'espace, là où toutes les conditions peuvent être remplies de manière systématique et fiable.

— Cela a donc du sens de créer un réseau internet depuis l'espace. En fait, il ne veut pas apporter internet aux régions défavorisées. Il veut créer un réseau pour que son ordinateur quantique communique directement avec la Terre.

Jenny opine. Elle ajoute :

— J'aurais dû y penser plus tôt. Le nom de sa société Skylab était déjà un indice en soi.

Elle sélectionne une page historique reprenant le nom Skylab :

Skylab, « Laboratoire du ciel », est la première station spatiale lancée par l'agence spatiale américaine, la NASA.

Le laboratoire de 35 mètres est mis en orbite le 14 mai 1973. Au cours de son lancement, la station perd une partie de son revêtement thermique et l'intensité inattendue de l'activité solaire dégrade plus rapidement que prévu l'orbite de la station spatiale, qui se désintègre en rentrant dans l'atmosphère le 11 juillet 1979*.

Elle conclut :

— Il a repris ce nom pour réussir là où la NASA a échoué. Task a toujours ambitionné de recréer son propre laboratoire du ciel... Des recherches, non plus pour le bien commun, mais pour son intérêt personnel.

David redresse le visage. Un pli soucieux barre son front.

— Les questions qui nous restent à élucider sont...

Il lève le pouce :

— ...« un », pourquoi cette mise en scène à Prague avec ces dix-sept dirigeants et « deux », pourquoi diable faire des injections aux nourrissons.

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* Source: Wikipédia


L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant