Quatrième partie - Chapitre 1 - Tobias - Le bras armé

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Quatrième partie

NEET

Les NEET désignent des personnes qualifiées « d'oisives », qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.

D'après l'OCDE, ils représentaient, en 2019, 2,85 millions de personnes en France.

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La vie ressemble à ces immensités dans laquelle il est si facile de se perdre à la nuit tombée. Que l'on regarde l'océan ou le ciel, les étoiles et la lune brillent au cœur d'une étendue de noirceur. Ce que l'on en retient ne dépend souvent que de nous, mais, parfois, il suffit d'un mauvais courant ou d'un nuage sombre pour que tout s'éteigne. Ce soir rien ne luit, hormis le neuf millimètres de Tobias. Simon, à genoux, émet des gargouillis pathétiques, mélange de gémissements incompréhensibles noyés de larmes, de morve et de sang. Le Grec l'a emmené sur le site de l'entreprise, là où quelques jours auparavant s'enchevêtraient les camions de marchandises. Il a choisi le site de recyclage comme destination finale. D'énormes monticules de briquaillons s'élèvent comme des dunes dans l'attente de se faire avaler par le broyeur. Le traitement terminé, ces déchets de construction seront revendus à bon prix comme terre de nivellement. Sur les chantiers, rien ne se perd...

Deux phares jaunes éclairent Simon et à ses côtés, le trou fraichement creusé à la pelleteuse. Bruno et Didier, les deux chefs d'équipe patientent dans l'ombre. Des vieux de la vieille. L'arrière garde, les plus loyaux, ceux que Léon a sortis de la misère et envers qui une confiance indéfectible s'est installée. Cette même confiance qui nourrissait en eux le feu de l'incompréhension quelques heures plus tôt à l'annonce de leur licenciement brutal. Lorsque Tobias les a recontactés en leur demandant de venir avec leurs fusils de chasse et de la chaux vive, ils ont compris tout de suite et n'ont même pas toussé.

Tobias chambre une balle dans son beretta. Le cliquetis provoque un sursaut chez son otage.

— Tu as des gosses ?

Tobias remarque un léger raidissement chez sa victime. Dans l'esprit de Simon, l'image de son jeune fils et de sa fille revient comme un retour de flamme.

— Je te laisse le choix. Si tu parles, je te laisse leur passer un coup de fil. Ta mort ne sera pas douloureuse. Si tu refuses de parler, je t'enterre vivant dans la chaux.

Dans le silence d'une nuit sans étoile, il sort son téléphone portable. Dans une main, le flingue, dans l'autre le portable et sans autre formalité, il murmure :

— Choisis.

Simon crache sur le sol un amas glaireux et ensanglanté.

— Vous voulez que je vous raconte ? Bien sûr que je vais tout vous raconter, mais à quoi bon vous n'y comprendrez rien... Le monde est une machine à abrutis, il n'y a même plus besoin de cacher ce que nous faisons, vous nous prenez sur le fait, vous avez tous les éléments en main et vous ne saisissez toujours rien à nos intentions.

Le canon approche du visage et le métal vient se coller sur la tempe. Le contact dur et froid le renvoie à ses derniers instants, là où la vie défile en quelques clichés. Des parents fonctionnaires, une enfance unique, des jouets en plastique immobiles. À l'école, on l'appelait la grenouille avec ses yeux globuleux et cette pellicule de transpiration. Sonia, il l'aimait, il la voulait, mais c'est Grégory qui l'a eue. Le beau Grégory, il les avait toutes pour lui. Son ami en surface, son rival en secret. Puis vint les affaires, où Simon lui a vendu son âme, pour réussir à son tour et faire partie d'une machination qui non seulement avait du sens, mais surtout qui lui donnait enfin ce privilège tant recherché, de l'importance.

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant