Chapitre 40 - Dolores - Aveux

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Dans la cuisine du manoir, le temps s'est arrêté. Suspendus aux lèvres de l'infirmière, Lucie, Jenny, Tobias et David retiennent leur souffle. La voix de Dolo déraille depuis un moment déjà, elle leur a tout raconté, enfin presque tout... La chute dans l'escalier est restée sous clés. Les questions fusent et à présent elle ne peut plus dissimuler les réponses. Comme si ses émotions, sa raison et son sens du bien, si souvent enfouis aux oubliettes, revenaient en force et filtraient à chacune de ses paroles.

— J'ai passé un marché avec...

Elle lance un regard vers l'homme ligoté.

— Avec cet homme, avec Simon...

Au moment de dire son nom, sa voix monte de quelques octaves, comme pour émettre un appel, mais la tentative reste vaine. Simon ne répond pas et semble toujours endormi. Tobias approche un peu pour capter l'attention de l'infirmière. Le mouvement suffit à la ramener vers le fil de la conversation.

— Ne t'occupe pas de lui, il ne peut plus te faire de mal. Explique-nous, nous sommes à ton écoute.

Elle inspire profondément.

— Nous nous voyions toujours au même point de rendez-vous. Au stand de tir.

Elle marque un temps d'arrêt pour fouiller sa mémoire et décide d'ajouter :

— C'est d'ailleurs à cet endroit qu'il m'a approchée la première fois.

Dolores affiche de plus en plus de difficultés à aligner les mots suivants :

— Il... Il me remettait à chaque rencontre une liste.

Oscar à ses côtés, se recule légèrement comme repoussé par une aura froide et inconnue. Elle relève sur le groupe un visage implorant.

— Je suis sage-femme, vous comprenez ? Mon rôle est normalement de délivrer la vie.

Entre aveu et justification, Dolores mesure toute l'horreur de ses actes. Oscar s'éloigne encore un peu plus d'elle alors que l'histoire se poursuit avec hésitation.

— Et...

Tobias se décide à lui donner un coup de pouce.

— Que comportait cette liste ?

— Des noms de patientes, à chaque fois des patientes dont l'accouchement était prévu dans mon secteur.

Le directeur opérationnel plisse le front.

— Comment Simon se procurait-il ces informations ? Comment savait-il que ces futures mamans viendraient justement dans votre service ? Les données médicales sont pourtant confidentielles.

Dolo affiche un sourire amer.

— Vous avez raison. En théorie c'est impossible. Mais je ne vous ai pas tout raconté.

Elle se jette à l'eau :

— Lors de notre première rencontre, j'ai reçu une mission particulière. Ma première mission était d'introduire, à intervalles réguliers, une clé USB dans l'ordinateur de l'hôpital. Apparemment, ce procédé créait une brèche dans la sécurité informatique du réseau médical et ouvrait la porte aux données confidentielles de chaque future maman.

Tobias opine en signe de compréhension.

— Je vois.

Il enchaîne :

— Très bien, vous aviez une liste de patientes, et ensuite, qu'était-il attendu de vous ?

— De... Je...

Elle se racle la gorge, reprend sa respiration avant de répondre d'une manière mieux maîtrisée :

— Vous devez savoir qu'il y avait autre chose. Il ne me remettait pas qu'une liste.

— Que receviez-vous d'autre ?

— Je recevais une mallette contenant des injections.

— Des injections ?

Jenny se raidit tandis que Tobias, Lucie et David échangent un regard surpris. Le teint d'Oscar vire au gris. Tobias tente de garder le fil de l'interrogatoire :

— Des injections ? Dans quel but ? Vous deviez les administrer aux patientes indiquées sur la liste ? Expliquez-vous.

Elle secoue un visage rougi par la honte.

— Les mamans n'étaient pas les cibles visées...

Cette fois les larmes ne peuvent être retenues. Et dans son explosion de chagrin, l'horreur de ses actes éclabousse chacun des spectateurs. Un silence pesant s'installe dans la pièce. Tobias approche un peu plus son visage et lui souffle :

— J'ai besoin de l'entendre de votre bouche pour être certain de bien comprendre.

Décomposée, terrassée par la honte et le désespoir elle balbutie :

— Oui... vous avez bien compris, c'était les bébés... Souvent, tout se passait bien, mais parfois... Ils ne passaient pas la nuit.

Un silence glacé s'installe. L'horreur se marque sur les visages. Leurs faciès ne mentent pas et Dolores voit son propre reflet sur leurs prunelles horrifiées, le reflet d'un véritable monstre. Tobias reprend :

— Que contenaient ces injections ?

L'infirmière secoue un visage terrassé de douleur.

— Je ne posais pas de question. Je... mon fils, il se servait de mon fils pour faire pression sur moi.

Imperméables à ses justifications, ses interlocuteurs préfèrent réfléchir aux liens qui pourraient relier cette affaire au meurtre de Léon. Les secondes s'égrènent. Une pièce vient de s'ajouter à ce puzzle mais, pour l'instant, personne ne semble comprendre comment elle s'y intègre.

À l'abri des regards, le téléphone portable de Dolores se met à clignoter. L'appel reste inaperçu. Dans le sac à main de Dolores, la lumière bleutée pulse dans le noir, encore et encore. Ce soir, c'est le douzième appel qui reste lettre morte. Tobias se lève et tend une main dans sa direction.

— Merci pour votre honnêteté. Venez avec moi, je vous prie, je vais vous confier à Arnaud, il vous installera au petit salon. Dès que nous en saurons plus sur la suite des évènements, nous vous en ferons part, en attendant, nous vous demandons un peu de patience, à vous et à votre collègue.

Il marque un temps d'arrêt avant de lancer un regard noir en direction de Simon.

— Il nous faut également obtenir des réponses de cet homme.

Dolores se redresse et opine de plusieurs mouvements vifs de la tête.

— Bien sûr Monsieur, tout ce que vous voudrez.

Oscar se lève à son tour et les deux infirmiers suivent leur hôte vers une autre pièce où Arnaud les attend. Tobias lui demande :

— Veux-tu bien les conduire au petit salon ? Ils vont te remettre leurs portables le temps que nous tirions toute cette histoire au clair.

En silence, Oscar et Dolores s'exécutent. Sans hésiter, l'infirmière tend au majordome son sac à main. À l'intérieur, un nouveau message s'affiche, un texto cette fois. Sur l'écran s'inscrit :

" Maman, je suis en danger à l'Institut. Viens me chercher. Vite, viens me chercher."

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant