Chapitre 15 - Dolores - Un coup de plus

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Le CZ shadow SP 01 rutile. Huilé comme s'il s'agissait d'un bijou de précision, il reflète avec éclat le rayonnement des néons. Raoul, le commissaire, un homme trapu à la poigne de ferronnier, approche. Sa paluche engloutit l'arme qu'il vérifie avec plus de minutie que de coutume. Son œil vient même vérifier la chambre. Vide, elle ne contient pas la moindre trace de poudre. L'inspection terminée, il donne son feu vert d'un clin d'œil avenant en direction de la jolie infirmière. Visiblement, il cherche un angle d'attaque. Dolo, indifférente, ajuste le casque sur ses oreilles et remonte ses lunettes de protection. D'un regard distrait, elle balaie les alentours, histoire de montrer tout l'intérêt qu'elle porte au commissaire. Le pas de tir n'a pas changé, une quinzaine de couloirs individuels attendent leurs tireurs. À cette heure, ils ne sont plus que deux. Un type énorme aux cheveux noirs s'exerce au fusil semi-automatique, un habitué, elle le voit souvent.

Son attention revient vers l'objet de la soirée, dans trente minutes, l'établissement fermera ses portes, pas question de traîner. Elle se place au centre de son box, insère sa cible dans le rail et pousse le bouton directionnel. La feuille de carton recule jusqu'à atteindre les quinze mètres.

Tenir l'arme des deux mains, tendre le bras, viser, bloquer la respiration, serrer l'entièreté du poing comme s'il s'agissait de presser un agrume.

— BLAM

La balle est partie presque de manière inattendue, en plein centre.

— BLAM, BLAM, BLAM

L'odeur de poudre envahit l'espace et perturbe les sens de Dolo. Le tir possède cette vertu troublante liée à la manipulation d'un objet potentiellement mortel. Tirer demande la mobilisation de toutes ses facultés. Les ressources cérébrales se focalisent sur une tâche et ce processus, par voie de conséquence, écluse l'esprit de toutes les autres pensées. L'aspiration est complète. Elle surpasse toutes les pensées nocives, les remords, les angoisses, la curiosité, les projections, l'excitation, les inquiétudes, toutes les réflexions connexes qui polluent la quiétude. Lorsqu'il s'agit de placer le projectile dans sa cible en respectant toutes les consignes, le cerveau fait le ménage et les idées parasites s'évanouissent. Ce sont sans doute les seuls moments de paix dont profite l'infirmière tourmentée. Le canon libère une nouvelle série de déflagrations, et puis, encore une autre série. La boîte se vide très vite. Lorsqu'elle vient pour son plaisir, Dolo peut passer trente minutes pour cinquante douilles. Mais aujourd'hui, ce n'est ni le plaisir ni la détente qui l'amènent. Elle termine sa série en moins de dix minutes, décharge son arme et la prépare pour la vérification de sortie. Le commissaire approuve d'un regard langoureux. Elle éternue. La poudre sans doute. Verrouiller le cadenas sur la détente ne prend qu'une seconde. L'arme rangée dans sa mallette sécurisée, elle prend le chemin de la cafétéria désertée. Le sas passé, elle ôte les lunettes et le casque. Un regard sur la table du coin lui confirme son rendez-vous. Simon l'attend, il n'a pas bougé. Deux tasses de thé fument. Il a commandé pour elle, comme de coutume. Elle ne le boira pas, il le sait, pourtant...

Simon possède un corps repoussant. Grand, trop mince, sa tête ronde et chauve culmine de manière massive par rapport au volume du tronc pour abattre toute chance d'harmonie. Il arbore un teint blafard aujourd'hui, c'est à se demander à quand remonte sa dernière nuit de sommeil. Les yeux globuleux s'engluent sur le corps de l'infirmière. Pas besoin d'être mentaliste pour comprendre le fond de sa pensée. Le niveau ne vole pas plus haut que le caleçon.

Elle s'assied dans une succession de mouvements revêches. Il ouvre la bouche pour commencer à parler, elle le coupe.

— Je pensais que si je délivrais la dernière série d'injections, nous serions quittes.

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant