Chapitre 6 - Maxime - Une fenêtre ouverte

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Dans les escaliers, les bottes écrasent la bienséance. Les trois ados dévalent les marches comme on fuit une civilisation de fou. Comme si le monde rigoriste leur offrait, l'espace d'un soir, la permission d'être eux-mêmes. Ils sautent entre chaque palier, et foncent à toute allure. Au rez-de-chaussée, une lourde porte les sépare de l'extérieur. La pluie battante martèle le panneau en un écho sonore assourdissant. Nic, le leader, leur lance un regard amusé.

— Mettez vos vestes, il pleut des cordes !

Il ouvre et s'élance vers un extérieur de tempête. Sans hésiter, Chloé plonge à son tour. Ne reste que Max dont l'indécision menace l'équilibre d'une vie raisonnable. À choisir entre l'aventure ou la raison, la jeunesse prend souvent le dessus sur la sagesse et dans la fougue de ses quinze ans, il s'élance à son tour.

Un vent violent l'agresse et les trombes d'eau lui fouettent le visage. Au loin, il distingue des arbres malmenés par les bourrasques alors que des éclairs zèbrent le ciel. Il reconnaît rapidement la cour de récréation. Deux goals de foot, un terrain de basket et un carré de pelouse parsemé de quelques bancs.

Max s'élance. En quelques enjambées, il rattrape ses amis. La nature lui a concédé une forme physique d'exception. De morphologie athlétique, son mètre quatre-vingt épouse soixante-quinze kilos de muscles. L'ado fait des ravages dans les cours d'éducation physique et dans les cœurs de ses amies.

Le préau marque l'arrêt de leur course effrénée. La pluie mitraille littéralement le toit en tôle. Les amis échangent un regard dégoulinant, l'eau s'écoule de leurs cheveux, le vent les transperce. Pourtant, ils ont le sourire, ils sont vivants et ne l'ont jamais autant été qu'à cet instant.

Nic montre du doigt la porte du bâtiment.

— La porte des éducs est fermée.

Maxime répond :

— Sans blague.

Ses deux amis tournent vers lui des yeux emplis de défis.

— On a besoin de toi Max.

L'ado se redresse et attend la suite.

— Il faut que tu grimpes sur la toiture.

— Quoi ?

— Écoute-moi jusqu'au bout ! Le bureau de Starsky se trouve juste au-dessus du préau et sa fenêtre est ouverte en permanence.

De sa main, Max essuie la pluie de son front et la projette vers le sol d'un geste vif. Nic poursuit sur le ton du connaisseur :

— Je le sais, j'y étais cette aprèm, pour discuter avec lui de mon « comportement ». Ce bâtard fume dans ses locaux à toute heure. La santé des autres, rien à foutre. À cause de la fumée de ses clopes, il est obligé d'ouvrir sa fenêtre de moitié. Il la bloque avec une pile de bouquins. C'est une habitude permanente. Il ne prend même plus la peine de la refermer et avec la tempête, le vent aura fait le travail à ta place. La fenêtre t'attend grande ouverte. Il te suffit de t'introduire, dans son bureau. En sortant, prends la première à droite, descends les escaliers et tu nous ouvres.

Nic désigne la porte qui leur barre le passage avant d'achever :

— C'est une porte coupe-feu. Elle s'ouvre de l'intérieur, il n'y a pas besoin de clé pour la déverrouiller. Crois-moi, j'y suis passé plusieurs fois.

Le froid, tout à l'heure vivifiant, devient mordant. Max hésite, son regard oscille entre un ami qui n'a pas froid aux yeux et une conquête qu'il rêve d'impressionner. La raison s'insinue dans son processus de décision.

— Les gars, c'est un plan foireux, on risque de se faire virer. Je ne viens pas d'une famille de bourge comme vous. J'ai été sélectionné par tirage au sort, cette école c'est la chance de ma vie. Vous ne réalisez pas ce que vous me demandez. Je suis désolé, mais il n'est pas question que je prenne le risque d'un renvoi.

Nic parle d'une manière plus sèche.

— C'est quoi ton problème ? T'es une couille molle c'est ça ?

Un coup de sang circule dans tout le corps de Max. Un regard de défi s'échange entre les deux garçons. Comme s'il venait de percevoir le danger, Nic reprend un ton plus bas.

— Écoute Max, tu me prends pour un enfoiré ?

— Un peu...

Ils sourient.

— Tu crois vraiment que je t'enverrais au casse-pipe comme ça ?

— Complètement.

Il secoue la tête.

— Non, mais ferme-la deux minutes. Écoute-moi, tu veux ?

Cette fois Max se tait.

— Les éducs dorment dans l'autre aile. Ici, c'est le pôle administratif, les bureaux tu piges ?

L'ado jette un œil sur le bâtiment.

— Tout ça ? Que des bureaux ?

— Ouais, bien trop grand pour ce qu'ils y font si tu veux mon avis. Avec la coupure de courant, les caméras sont « off ». Il n'y a pas de détecteur de mouvement comme dans les systèmes d'alarme classique, à part sur les portes d'accès principales, mais cette entrée n'en fait pas partie. Dans cette aile, seules les caméras sont à l'œuvre et ce soir elles n'enregistrent pas. Tu peux me croire, j'ai étudié le coup depuis un moment.

Max observe son ami avec intérêt. Nic poursuit sur un ton sincère :

— Après je comprends que le risque est grand pour toi. T'es pas obligé de nous suivre. Si t'as les boules de te faire choper, j'comprendrais. Mais tu peux me croire, ce plan a la complexité d'une perforatrice. Un appui tendu et tu nous crées l'ouverture.

— Une dernière question, pourquoi vous voulez absolument passer ?

Max arbore une mine sournoise.

— Ils gardent des réserves de champagne hors de prix pour leurs réceptions. On entre, on en pique une ou deux, puis on revient ni vu ni connu pour faire la fête.

Chloé avance vers Maxime. Sur la pointe des pieds, elle rapproche son visage du sien, enroule ses bras autour de son cou. Elle lui murmure :

— Je meurs d'envie de faire la fête avec toi...

Un frisson parcourt l'adolescent lorsque les lèvres se touchent. Le contact libère un nouveau torrent d'émotions. Il ouvre des yeux conquis. Elle ajoute :

— C'est toi qui vois Max, mais j'aimerais vraiment passer du temps avec toi ce soir.

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant