Chapitre 7 - Renée - Endetté

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Dans la cuisine, l'ambiance s'est réchauffée. Le café coule dans le percolateur et les arômes de torréfaction se répandent sur les lieux. Renée s'active comme un automate dont la simple vue de verres sales sur une table suffit à éveiller. En quelques gestes, la bouteille de poire retrouve son logis dans l'armoire à alcool et les verres plongent dans une eau bien chaude. Sans attendre d'invitation, Jenny s'arme d'un essuie vaisselle et se campe aux côtés de la matriarche.

— Alors comme ça vous travailliez pour Léon ?

— Oui, j'étais responsable du département communication de l'entreprise.

— Vous étiez responsable ?

Elle insiste sur la conjugaison du verbe être au passé.

— Oui, je l'étais, depuis j'ai été licenciée. Léon s'est comporté de manière très étrange avant sa mort. Figurez-vous que David et moi étions au restaurant lorsque nous avons pris connaissance de la vague de licenciements.

Au mot restaurant, Renée tressaille intérieurement, mais ne laisse rien paraître.

— Une vague de licenciements ?

La matrone continue à laver les verres, mais son esprit, lui, turbine à toute vitesse pour comprendre le fil de l'histoire. Jenny se fige. Elle hésite une seconde.

— Je ne devrais sans doute pas être celle qui vous l'annonce, mais...

— Oui ?

— Sachez que David a subi le même sort.

— Comment ?

Surprise, Renée se crispe et presse trop fort sur le verre en cristal. Celui-ci se brise et lui entaille la main. Un goutte à goutte pourpre colore l'évier. D'un geste attentionné, Jenny lui prend la main.

— Laissez-moi regarder.

D'instinct, Renée se serait reculée, mais étrangement, elle se laisse faire et en profite pour mieux observer cette mystérieuse Jenny. À sa manière délicate d'inspecter sa paume, elle dévoile une facette nouvelle, un visage vrai, un aspect véritable, presque secret de sa personnalité.

La directrice utilise ses ongles pour ôter un éclat de verre coincé dans la blessure. La mère de David ne peut s'empêcher de souffler :

— Pas étonnant que mon fils soit sous le charme.

Jenny s'immobilise. Paralysée, elle ne sait comment réagir. Elle décide de tenter le tout pour le tout :

— Sous le charme de Lucie, vous voulez dire...

Les zygomatiques de Renée s'étirent pour dévoiler ses dents.

— C'est donc là que réside votre retenue. Vous pensez que mon fils éprouve des sentiments pour la jeune Darville...

Jenny lève les yeux au ciel.

— C'est évident.

À ses mots, la directrice aux cheveux clairs appuie un regard scrutateur vers son interlocutrice. Dans une tentative de déceler l'insondable, elle ajoute :

— Quelque chose d'opaque plane sur votre relation avec les Darville. Votre fils et Lucie possèdent une rare complicité. De plus, David a reçu un rôle privilégié dans l'entreprise. Léon le considérait comme un élément à part, un favori en quelque sorte.

Jenny affiche un demi-sourire.

— Et David continue à se voir comme un simple secrétaire...

— Et vous en concluez que Léon faisait tout cela, car il le considérait comme un gendre en devenir. Vous pensez que lui et Lucie sont destinés à se marier, d'une manière ou d'une autre, c'est cela ?

La directrice se mord les lèvres comme si elle s'attendait à un revirement de situation, un espoir ténu luit en elle lorsqu'elle demande :

— Pourquoi ? Ce n'est pas le cas ?

— Ma chère, la seule raison pour laquelle Léon agissait de la sorte, c'est parce que mon fils est compétent.

Jenny intervient :

— Mais, nous savons toutes les deux que ce sont les relations qui ouvrent les portes de la direction et non la compétence.

— Certes.

Renée hésite et plonge son regard dans celui de Jenny. Les secondes s'écoulent lorsque la matriarche se décide à ajouter :

— Vous avez vu clair, David bénéficie d'un traitement de faveur, un privilège qui possède néanmoins un côté ingrat, vous en conviendrez.

Jenny approuve d'un léger mouvement du menton. Renée ajoute :

— David n'est pas au courant de cet état de fait.

— Pourquoi ce favoritisme ?

— Léon avait une dette vis-à-vis de Laurent, mon mari, le père de David. Une dette importante, une dette immense, une dette qui, même après sa mort, ne se remboursera jamais...

L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant