L'Égalease - [GAGNANT WATTYS 2022]

Chapitre 17 - David - Oublie le calepin...

Certaines révélations possèdent le pouvoir de transformer le fil d'une vie. L'aveu provoque un trouble et la vibration ébranle les tracés établis. Les yeux noisette du secrétaire s'acharnent sur la lettre. À la troisième relecture, le regard couleur lagune de la directrice se durcit:

— Je pense que tu n'en apprendras pas plus.

Il relève un visage impuissant dans sa direction.

— Je ne suis qu'un secrétaire, Jenny.

Elle penche la tête de côté.

— Correct. Mais je ne vois pas le rapport avec cette lettre.

Le visage de David se marque de dégoût.

— C'est pourtant simple... Je ne suis qu'un secrétaire.

— Que t'as demandé Léon avant votre départ ?

Le front de David se plisse alors qu'il sollicite sa mémoire. Elle décide de le mettre sur la voie.

— À propos de ton calepin.

Il approuve et murmure :

— Oublie ton calepin, c'est de ton cerveau dont j'ai besoin.

Elle opine du chef.

— Correct. Léon te valorise beaucoup plus que tu ne le fais toi-même. Il croit en tes capacités d'analyse. Tu compiles le savoir de centaines d'heures de réunion du comité de direction. Tu as un rôle d'observateur où tu perçois tous les comportements, toutes les stratégies. Ajoutons à cela ta connaissance approfondie de la presse et la vivacité d'un esprit jeune et intelligent. Il n'y a pas de doute, tu es un atout. C'est clair pour tout le monde, sauf pour toi.

Elle avance un peu le visage dans sa direction, tout son être vibre de détermination.

— Souviens-toi David, lorsque tu as évoqué les nouvelles technologies, tu as mis le doigt sur le début de la piste.

Il répond sur un ton enjoué :

— Merci pour ces compliments. Donc, je suis votre atout.

— Correct.

— Tu dis tout le temps correct ? C'est normal ?

Elle penche la tête de côté en l'observant.

— Et ça aussi tu le fais tout le temps.

Elle l'ignore.

— Nous allons avancer sur l'enquête. Récapitule-moi ce qu'il s'est passé lors de votre visite.

Elle le transperce de son regard cristallin. Il ne peut s'empêcher d'observer le dessin délicat de son nez qui surmonte ses lèvres interdites. Devant son silence, elle prend une inspiration et reprend sur un ton plus patient, un peu comme si elle s'adressait à un élève un peu limité :

— J'ai besoin que tu me donnes un résumé clair, en séparant le futile de l'essentiel. Tu peux faire ça pour moi s'il te plaît ?

David approuve. Elle se saisit d'un bloc note.

— Du papier ? La vieille école donc ?

La directrice se fige, la poigne se resserre un instant sur le crayon et puis, se relâche.

— Non, je ne suis pas de la vieille école. Je suis ingénieur civil en informatique et j'ai une spécialisation en physique. Je maîtrise chacune des dernières technologies et c'est pourquoi j'utilise le papier car aucun ordinateur n'est encore en mesure de pirater les mouvements de mon poignet.

Il retient son souffle, il meurt d'envie de rajouter c'est bien dommage. Jenny penche le visage de côté.

— Tu penses être capable de te concentrer sur l'important pendant plus de deux minutes ?

David acquiesce, inspire et se lance dans la description de leur arrivée, le couloir noir, la porte et la loge.

— Des escaliers pour aller jusque-là ?

— Non. Mais peut-être que le chemin était pentu car la scène où Nelson Task nous attendait étaient en contrebas. J'ai directement enclenché la vidéo pour enregistrer ce qui s'est dit tout en prenant des notes.

Elle approuve.

— Très bon réflexe. Je la copierai et la visionnerai sur un média sécurisé dès que nous en aurons l'occasion.

— Tu penses vraiment que nous sommes épiés ?

Jenny penche le visage de côté.

— Je ne suis pas faite d'interrogations mais de certitudes. Lève-toi veux-tu ?

Sur ces mots énigmatiques, il obéit.

— Dirige-toi discrètement vers la fenêtre et regarde à l'extérieur vers la droite.

David approche de la baie vitrée. Ses doigts effleurent les rideaux qu'il écarte de manière imperceptible. Entre l'interstice du tissu, il perçoit une ville en activité.

— Sur la terrasse de la taverne, tu trouveras sans doute deux hommes en train de boire un café, veste en cuir brune pour l'un, lunettes d'aviateur pour l'autre.

— Vu.

— Ils sont là depuis notre arrivée et ne sont pas près de nous lâcher.

David les fixe quelques secondes. Leurs visages s'impriment dans son esprit. Ensuite, il s'écarte, il abandonne la fenêtre et avec elle, tout sentiment de sécurité.