s u r p r i s e, m f |80|

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Un peu bêtement, je pensais qu'être réveillée était pire qu'endormie. Pure question de logique. Si je dors, ma conscience se met sur pause et j'ai pas à subir les relents de bribes de souvenirs qui s'invitent quand je m'y attends le moins. Je me considère pas particulièrement conne, mais j'ai été bien conne sur ce coup-là.

Etre endormie est mille fois pire qu'éveillée.

Consciente, les souvenirs ne sont que souvenirs. Assoupie, ils prennent forme et deviennent tout ce qu'il y a de plus réel.

J'essaie de garder l'œil ouvert malgré l'heure tardive. Il y a presque un an, je m'autorisai pas pleurer. J'étais convaincue que pleurer, c'était pour les faibles. Aujourd'hui, je fais que pleurer. Je m'interdis de fermer l'œil maintenant.

Dans mes rêves, ça commence toujours en douceur. Il faut bien me faire tomber dans le piège, nan ? Au début, c'est un peu comme courir après le lapin. Celui qui s'écrie qu'il est en retard. Je cours après lui, une Alice enivrée d'un bonheur qu'elle tient pour acquis.

Pauvre Alice finit par tomber dans le trou du lapin et sombre dans un monde sans-dessus dessous. Celui de la Reine de Cœur. Quelle ironie de s'appeler comme ça quand on sait qu'elle n'a pas vraiment de cœur. Pauvre Alice se perd dans les jardins infestés d'abeilles de la reine, entourée de roses peintes de différentes nuances de rouge, peintes du sang de chacune de ses victimes. A une rose correspond une tête décapitée.

Bruce.
Le concierge.
Aspen.
Lid.

Il y a une rose blanche parmi elles. Elle fait tache. C'est une anomalie. Un seau vide repose à ses côtés. Il est libellé d'une étiquette.

Pas 'mange-moi.'
Pas 'bois-moi.'
Seulement 'Atona'.

Un seau qui attend patiemment d'être rempli de mon sang. Alors, la dernière rose pourra être peinte.

J'arrache la peau de mon visage, couche par couche. Une flaque pourpre grossit à mes pieds. Le visage de Bee ne disparait jamais. Sous chaque couche s'en cache un autre. Alors je gis là, allongée dans mes longs pans de peaux, entourée de visages arrachés. Quand je me réveille, je suis soulagée que le cauchemar soit terminé.

Le chat de Cheshire vient s'asseoir sur ma poitrine. Il remue une rose fraichement peinte sous son nez. L'animal sourit de toutes ses dents, centaines d'incisives aiguisées.

C'est là que la paralysie de sommeil commence. Repousser le chat est impossible.

Je suis pas folle. Je suis pas folle. Je suis pas folle.

—On est tous fous, Bee.

Le chat devient plus lourd et s'allonge. Il prend forme humaine. Celle d'Aguir. Il m'écrase de tout son poids et rajuste un long chapeau étrange d'un coup de pouce.

—Les meilleurs d'entre nous le sont tous.

J'étouffe sous son poids. Quel tour il m'a joué ? Je peux pas bouger. C'est la terreur ? La résignation ? Aguir caresse mon nombril, se permet d'aller plus bas. Ensuite...

Ethan se tient devant moi, dans la pénombre. Il me secoue doucement. Je me suis endormie sans m'en rendre compte. Ses lèvres bougent, il doit être en train de me parler. J'arrive à gigoter un doigt. Puis une main. Le bras et enfin le corps entier. Le cri bloqué dans ma gorge éclate, si puissant qu'il me brûle toute la poitrine. Je me lève en catastrophe. Il me faut de l'eau.

Ethan dit quelque chose. Mes oreilles sifflent. Aguir me bouche l'ouïe.

—Tu m'as tout pris. Pourquoi me hanter ? Il me reste rien que t'aies pas brisé.

Je peux pas te laisser m'oublier. Toutes les nuits, je les passerai avec toi. Je te l'avais dit, non ? On est liés à jamais, maintenant.

Dans la salle de bain, je m'installe habillée dans la baignoire. J'actionne un peu tout ce qui me passe sous la main. Mon corps m'obéit pas. Je tremble trop fort pour arriver à attraper quoi que ce soit. Je cogne la baignoire avec tout ce que je peux. La douleur. La douleur à mes membres me rattache à mon corps. C'est mon corps, sinon j'aurai pas mal. Pas vrai ?

InceptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant