Chapitre 20

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Le dimanche 14 avril 2019, aéroport de Montréal.

Point de vue Abrían

Alors que nous attendons les bagages dans la pièce dédiée à cet effet, j'enlève le mode avion de mon portable. Je reçois plusieurs notifications sans grande importance avant de tomber sur un message des plus étonnants. Meï. Je me demande bien ce qu'elle me veut tout d'un coup, j'ouvre notre conversation et lis attentivement son message. J'affiche un faible rictus, visiblement madame a changé d'avis.

« Pourquoi tu souris devant ton portable ? Andrew qui t'envoie encore des idioties ?

— Oui exactement », ris-je.

Je ne sais pas pourquoi j'ai menti, peut-être car je ne souhaite pas assister à des crises de jalousie de ma copine pour une fille qui ne m'intéresse pas et que je souhaite simplement aider à aller mieux. Je me concentre de nouveau sur ma conversation, relisant le message avant de lui répondre.

De Meï
Et sinon je vais bien et toi ? Excuse-moi si je n'ai pas été très réceptive à la main que tu me tendais...

« Et a part des conneries, il va bien ? », demanda-t-elle en s'approchant de moi.

Je remets mon portable dans ma poche de pantalon et la prend dans mes bras. Elle se lève sur la pointe des pieds afin de pouvoir m'embrasser. J'y répond machinalement.

« C'était vraiment génial ce voyage avec toi ! J'espère que l'on en fera pleins d'autres !, s'enthousiasma Stacey.

— Je ne vois pas pourquoi on en ferait pas d'autres mais la prochaine fois c'est moi qui décide !, l'avertis-je en prenant enfin nos bagages.

— Avec plaisir. Hâte de savoir où tu vas m'emmener alors ! »

Elle embrasse la commissure de mes lèvres avant de me prendre la main, chacun notre bagage dans l'autre. Même si je n'ai pas aimé l'Allemagne, j'ai aimé passé du temps avec elle loin de notre quotidien à Saguenay.

« Tu dors chez moi, ce soir ? »

Sa question qui semble pourtant bien anodine est trahie par son sourire enjôleur. En allant chez elle, je sais très bien que je n'allais pas que dormir et j'avais besoin de dormir pour être en forme demain. J'ai la vie de patients dans mes mains et mon hygiène de vie doit être irréprochable si je ne veux pas faire d'erreur médicale.

« Non, je dois vraiment me reposer. Demain je reprend le travail »

Je lui explique en prenant des pincettes car je connais que trop bien sa susceptibilité. Elle me sourit en me disant qu'elle comprenait. Je mets nos bagages dans le coffre et nous montons à l'intérieur de la voiture. 4h30 encore de route, je compte bien sur elle pour prendre le volant de temps en temps. Je n'ai pas envie de m'endormir au volant. Étant médecin aux urgences, je sais ce que les accidents de voitures peuvent provoquer comme traumatisme. A chaque patient dont j'ai la charge et qui a subi un accident de voiture, je ne peux pas m'empêcher de penser à Matthew. Surtout quand je suis face à un polytraumatisé qui a une épée de Damoclès au-dessus de lui.

« Tu penses à quoi ?

— Rien »

Je secoue la tête tandis qu'elle porte un regard septique sur ma personne. Elle ne pourrait pas comprendre comment on peut être marqué par la mort d'un patient même si on essaie de ne faire rentrer à aucun moment notre affecte dans l'histoire. Il n'en reste pas moins que nous sommes des humains et parfois la vie d'un patient nous tient plus à cœur qu'on ne l'aurait pensé.

« Tu sais, j'ai réfléchis pour Meï... Je pense que tu as tort Abrían. Rencontrer quelqu'un lui ferait du bien et il n'y a pas que moi qui le dit.

— Qui d'autres ?, demandai-je.

— June par exemple et je pense que Dani pourrait facilement nous suivre »

Cela m'aurait beaucoup étonné si elle m'avait écouté un minimum. Je soupire d'exaspération. Si Dani se mélange à elles, Meï le prendra certainement très mal.

« Chérie toi et June, vous ne la connaissez pas. Du moins pas comme Dani, vous ne devriez pas vous mêler de ça.

— Mais toi qui ne la connais pas, encore moins que nous tu te permets de me dire que ce n'est pas ce qu'elle a besoin en ce moment !

— Je suis médecin je te signale. Des patients qui ne veulent pas se faire soigner j'en croise, des patients qui ont des familles au bord de la crise de nerf j'en croise aussi. Donc en tant que médecin, je te dis simplement que cette jeune femme a besoin de tout sauf d'un homme en ce moment ! »

Mon ton est devenu cinglant et agressif. Tandis que je me concentre sur la route, du coin de l'œil je constate qu'elle me fusille du regard. Elle déteste quand je la remets en place mais là elle va trop loin avec Meï, elle se mêle vraiment de ce qui ne la regarde pas.

« Eh bien on verra !

— C'est tout vu, tu verras que j'ai raison et faudra pas que tu te plaignes si elle te fait la tête par la suite !, l'avertis-je.

— Tu me prends pour une pleureuse ?

— Non je te prends juste pour ce que tu es, une chieuse mêlée d'une têtue ! ».

J'éclate de rire devant son regard désapprobateur. Elle n'aime pas quand je souligne ses défauts mais ce sont ces mêmes défauts qui me font chaque jours tenir un peu plus à elle.

« Mais je t'aime quand même, ajoutai-je en posant une main sur sa cuisse.

— Tu as intérêt parce que niveau défaut tu n'es franchement pas mieux loti que moi ! Espèce de loup solitaire !

— Très drôle, ironisai-je.

— C'est ce que tu es !

— Si je l'étais, je ne serais pas avec toi !

— Tu es un solitaire, tu ne peux pas le nier. Tu as besoin de ta solitude pour protéger ton jardin secret ! », me sourit-elle.

Elle n'a peut-être pas tort même si je n'aime pas le reconnaître. Au bout d'une heure et demie, nous changeons de conducteur. Je commençais à être trop fatiguée pour continuer de conduire.

Je sors mon portable de la poche de mon pantalon, enfin du moins après plusieurs tentative. Ce pantalon a des poches un peu trop profonde.

A Meï
Ça ne fait rien ! Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? ;)

Je ne m'attends pas à une réponse immédiate pourtant c'est ce que j'ai le droit.

De Meï
Ton voyage s'est bien passé ?

Je souris. Je ne sais pas pourquoi mais je me doutais bien qu'elle allait répondre à ma question par une question.

A Meï
Et toi, ton travail ?

Je me mets à rire. Elle veut qu'on se la joue comme ça, il n'y a aucun soucis mais elle va vite perdre. Pensant qu'elle allait finalement répondre à ma première question, je suis très surpris qu'après plusieurs minutes elle ne m'a toujours pas répondu. La bourrique, pensai-je.
A contrecœur je remets mon portable dans la poche et commence à m'endormir.

L'iris bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant