Le lendemain soir,
Point de vue Meï
En m'asseyant dans l'avion, je ressasse tout ce qui a pu se passer pendant cette minuscule mais néanmoins importante semaine. De mes retrouvailles à mes adieux avec mes amis, avec Abrían. J'étais partie de la Chine avec la ferme intention de mieux y revenir, c'est-à-dire d'y vivre définitivement. Je me voyais avec les enfants, flâner sur le marché et prendre l'air frais sur le mont. Je me souvenais avoir eu peur de revenir à Saguenay, me rappeler de mauvais souvenirs et finalement replonger dans ce que je ne voulais plus.
J'avais fait une vraie croix sur Saguenay puis est arrivé les retrouvailles avec Abrían et toutes mes certitudes ont volés en éclat. Déjà je ne m'attendais pas à être si heureuse de le voir, je savais que je le serais mais pas autant. Puis j'avais fini par le blesser en lui disant ce que je comptais faire, maladroitement je n'avais pas pris en compte ce qu'il pouvait ressentir. Bien sûr qu'il comptait pour moi, ça coulait de source mais quand j'avais dit que rien ne pourrait me retenir je parlais de ma vie sentimentale ou professionnelle. Son ultimatum devant l'église a été une vraie gifle pour moi. Premièrement je ne m'y étais pas préparée, deuxièmement je ne pensais pas que ça viendrait de lui et pour finir je ne pensais pas que je tenais autant à lui au point de réfléchir sérieusement à l'éventualité de revenir vivre à Saguenay.
J'avais toujours vu Abrían comme mon fidèle allié, comme celui qui irait toujours dans mon sens et qui m'encouragerait dans mes projets. Je m'étais jamais dite qu'il ferait en sorte de devenir un obstacle. Mais je ne lui en veux pas, il a fait ce qui lui semblait bon à ce moment-là. Puis à ma très grande surprise, il a fini par me redonner mon libre arbitre sans trop comprendre pourquoi. En l'espace de trois jours il a changé d'avis et j'ai cette impression que ma beuverie n'y est pas anodine. Je ne sais pas ce que j'ai pu dire mais je sais qu'il me ment quand il m'a dit que je n'avais rien dit d'autre que son odeur ou le fait de m'avoir laissé toute seule. Pourquoi accepter de me laisser définitivement partir si ce n'est pas ce qu'il veut ?
« Madame », m'interpella l'hôtesse de l'air.
Je la regarde un peu hagarde. Je suis dans mes pensées depuis combien de temps ? Je regarde ma montre et constate que cela fait déjà une heure que je suis dans la lune.
« Oui ?
— Vous voulez quelque chose ?
— Non merci, ça ira ! »
Je lui souris avant de reposer ma tête contre le hublot. Je vois les lumières sur le bout des ailes, scintiller de mille feux. Ça me fait penser involontairement aux discussions avec Abrían sur le perron de l'appartement de June. Pourquoi je n'arrive pas à le sortir de ma tête ? Ce n'est pourtant pas bien compliqué de penser à autre chose, j'avais bien réussi la première fois que j'étais partie en Chine. Il faut dire qu'à ce moment-là, je partais pour oublier mon passé et Matthew. Je ne pars plus pour les mêmes raisons et ça doit certainement y jouer.
Je soupire et tente de me concentrer sur le livre que je m'étais achetée durant la semaine. Je n'avais pas eu le temps de le commencer tellement la semaine avait été chargée. J'étais même censée voir mes parents samedi, mais vu mon état de la veille, j'y avais vite renoncé. Je n'en reviens pas de ce que j'avais fait et pourtant au fond de moi je n'arrive pas à avoir de remord. Si j'ai agis comme ça, c'est sans doute pour de bonnes raisons même si je n'arrive pas à savoir encore lesquels. Puis je dois avouer que de savoir que j'ai failli lui déboutonner la chemise devant Stacey, ça me fait bien plaisir. Elle m'a tellement énervé avec lui que je lui ai rendu la monnaie de sa pièce à ma manière. Je ne suis pas vengeresse mais elle m'a tellement rendu responsable de tout dans son couple. J'ai jamais tenté Abrían sur quoique ce soit, je ne lui ai jamais rien fait espérer non plus donc j'imagine que s'il l'a quitté c'était pour des raisons personnelles mais qui n'en rien ne me concernais. Je pousse un long soupir. Pourquoi je pense à ça ?
Il va vraiment falloir que j'arrête de penser à lui, ça va virer à l'obsession à force. Déjà que là, il commence déjà à me manquer alors que ça fait simplement une journée que je ne l'ai pas vu. En plus ce manque me rend vraiment maussade, je vais arriver auprès des autres avec une tête de six pieds de long si ça continue. Les enfants vont prendre cette tête pour eux et vont penser que je suis triste car je n'avais pas envie de les revoir ce qui sera évidement faux car ils m'ont terriblement manqué pendant cette semaine loin d'eux.
Quelques heures plus tard, nous atterrissons à l'aéroport de Tongren. Quand je vois Chan m'attendre dans le hall, je lui saute dans les bras. Je suis si heureuse de la voir et parler chinois me donne cette impression d'être totalement moi.
« Je suis si contente de te voir ! », s'exclama Chan.
Je lui souris alors que nous prenons tranquillement le chemin vers le parking souterrain où est garée la voiture.
« Alors ce voyage à Saguenay ?
— Génial ! »
Elle arbore un petit rictus, tout en se gardant bien de me faire un quelconque commentaire. Je l'en remercie bien car à cet instant précis je me sens vraiment les fesses entre deux chaises. D'un côté Saguenay où j'ai mes amis et Abrían, de l'autre la Chine et les enfants.
« Tu as beaucoup manqué à Shu et Liang ! Pour les endormir, je ne te raconte pas le cirque ! »
J'éclate de rire. Ces deux-là sont vraiment intarissables.
« Et Willy et Sara ?
— Ils vont bien ! Ils ont hâte de te voir ! Il faut dire que l'orphelinat sans Meï Sullivan, ça perd de son charme ! », me sourit-elle.
Ce n'est pas en me disant des choses de ce type que je vais pouvoir choisir. J'aurais préféré ne pas le savoir à la limite.
« Dis pas n'importe quoi !
— Je t'assure que c'est vrai ! Tu souris et ris constamment.
— Et Ai ? Comment va-t-elle ?
— Elle se porte comme un charme et on a toujours tous envie de la croquer ! »
Nous sortons du souterrain et empruntons l'autoroute où j'avais oublié que tout est question de vie ou de mort sur les routes chinoises. Je repose ma tête contre la vitre et regarde le levée du soleil pointer le bout de son nez.
« Ça n'a pas l'air d'aller
— Si ça va, je suis juste très fatiguée par le voyage », lui souris-je.
Je regarde mon portable et tombe sur le message de Daniela qui me souhaite un bon voyage. Je souris.
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L'iris bleu
RomanceDepuis la mort de son compagnon, trois ans auparavant, Meï Sullivan ne se sent plus tout à fait la même. Tout est devenu plus difficile et compliqué. Ses relations avec la gente masculine sont au point mort et ceci semble lui convenir au grand dam d...
