Le mardi 30 avril,Point de vue Meï
N'ayant pas vu l'heure sur mon portable, je m'empresse de sortir du bureau pour ne pas être en retard au point de rendez-vous fixé par Abrían. Je le vois au coin de la rue en train de fumer tranquillement sa cigarette. Stacey parviendra-t-elle un jour à le convaincre d'arrêter de fumer ? Honnêtement je pense que non.
Je m'avance vers lui et lui fais la bise. Je crois que c'est la première que je lui dis bonjour de cette manière, normalement j'ai tendance à faire un simple salut de la main.
« Comment tu vas ?
— Bien, un peu abruti par la lecture, lui avouai-je en souriant. Et toi ?
— Je me demande comment tu fais pour avaler des livres à longueur de journée.
— J'aime lire tout simplement.
— C'était ce que je détestais à l'école », plaisanta-t-il.
Il se met à marcher, moi le suivant sagement. Je ne sais pas où il m'emmène et je n'ai pas envie de savoir non plus, pour une fois qu'il y a un peu de surprise et d'inattendu dans ma vie. Je serais idiote de m'en priver.
Nous arrivons devant un restaurant qui fait de la cuisine allemande, d'après ce que je peux comprendre. Je prie pour que la cuisine allemande soit à mon goût, je peux m'avérer très compliquée avec la nourriture. Nous entrons à l'intérieur où une dame nous indique notre table. Le restaurant est assez cosy malgré son style industriel et par conséquent un peu trop froid à mon goût.
« Tu m'as bien demandé comment s'est passé mon voyage en Allemagne ?
— Euh... oui, répondis-je.
— Eh bien tu vas comprendre ma douleur », plaisanta Abrían.
Je le regarde avec appréhension tandis qu'il nous commande la même chose. Je me demande bien ce qui va atterrir dans mon assiette, mais vu le ton qu'il a prit tout à l'heure, la nourriture n'a pas l'air succulente là-bas.
« Dois-je en conclure que tu n'as pas aimé ce voyage ?
— Ah il était parfait parce que j'étais avec Stacey, mais alors pour le reste...
— Je suis navrée pour toi, mentis-je.
— Fait pas semblant d'être désolée ! ».
Je lui souris avant qu'un silence ne se fasse entre nous. Je comprends ce qu'il ressent, Matthew m'avait emmené en Russie un jour et je n'avais aimé qu'une seule chose, passer du temps seul avec lui.
« Tu penses à quoi ?, me demanda-t-il.
— Pour être honnête, à Matthew mais ne le prend pas mal.
— Je ne le prends pas mal, tu n'as pas à t'excuser de parler de ton fiancé. Tu peux m'en parler en toute tranquillité.
— Merci, tu es bien le seul à le comprendre », souris-je.
Ça me fait vraiment du bien de savoir que si je veux lui en parler, je pourrais sans m'inquiéter d'avoir un jugement disant qu'il était mort et que je n'avais plus à en parler.
« J'avais les meilleures notes en cours de psychologie à l'université, plaisanta Abrían.
— J'imagine ! Il faut au moins ça pour me comprendre, ris-je.
— Ça c'est certain ! »
J'émets un bruit de protestation alors que nos plats arrivent. Des tranches de rôtis de porcs, je crois, sont dispersés dans l'assiette avec une sauce marron qui ne me donne pas très envie et des boules de je ne sais pas quoi trempe dans l'assiette. La présentation de l'assiette est moyenne, mais je crois que ça ne pourra pas être pire que le plat en lui-même.
« Bon pour La Défense des allemands, là-bas ils présentent mieux que ça !
— C'est quoi ?
— Schweinbraten avec des knödel...
— Tu me parles chinois là !, plaisantai-je.
— Ça te rappellera tes origines alors, me dit-il.
— Comment tu sais que j'ai des origines chinoises ?
— Bah disons que les yeux en amandes comme tu as, ce n'est pas très commun au Canada. Ensuite j'avais une chance sur des millions d'avoir bon sur le pays ! »
Alors qu'il rit, je me décide à goûter ce plat. Contre tout attente, je le trouve assez bon. Je n'irais pas me damner pour en remanger, mais ce n'est pas si mauvais que ça.
« Et toi, tu viens de quel pays ?
— Je suis ne au Mexique.
— Alors tu sais parler espagnol ?
— Mexicain oui pour sûr ! Après il y a quelques nuances avec l'espagnol européen, m'expliqua-t-il.
— Ah ? Moi je pensais que c'était le même en tout point.
— Et toi, tu sais parler chinois ?
— Oui du moins le dialecte de ma mère, souris-je.
— Pas de ton père ?
— Mon père est né ici.
— Et il y a plusieurs mandarin ?
— Disons que chaque province a son vocabulaire. C'est difficile de rentrer dans les détails mais oui il y a des nuances. »
Nous continuons de manger avec appétit pour ma part, moins pour Abrían visiblement.
« Je ne sais pas comment tu fais pour aimer un tel plat !
— Y a deux possibilités : soit j'ai très faim, soit je trouve cela délicieux.
— Et laquelle est la bonne ?
— Un peu des deux, ris-je. Tu retournes souvent au Mexique ?
— Non pas tellement depuis la mort de mes grands-parents. Et toi, la Chine tu y vas de temps en temps ?
— Non car à la mort de mon grand-père, ma grand-mère est venue vivre chez nous. Alors je ne trouve plus vraiment de raisons d'y aller, lui souris-je.
— C'est dommage ! Des vacances loin d'ici mais dans un endroit familier te ferait sans doute du bien.
— Je ne sais pas. Je n'y avais jamais songé avant que tu ne m'en parles ! »
Il me fait un sourire avant de finir son assiette tant bien que mal. Je ne sais pas si Stacey est au courant que l'on déjeune ensemble ce midi, mais de toute manière à part parler on ne fait rien de mal.
« Tu vas à la soirée de June ?, lui demandai-je.
— Oui comme toi, j'imagine !
— Je ne sais pas. Avec ce que tu m'as dit, j'ai un peu peur d'aller en terrain miné.
— Je comprends mais au pire tu sais renvoyer promener les gens quand il le faut alors si elles vont trop loin tu sais ce qu'il te restera à faire. »
Son ton se veut rassurant mais il n'a pas l'air aussi détendu qu'il ne le montre. Peut-être que lui aussi redoute cette soirée, mais peut-être pas pour les mêmes raisons que les miennes. Nous continuons de discuter le temps d'un dessert et d'un café, puis nous avons pris des chemins différents. Lui en direction de chez lui certainement et moi, en direction du travail.

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L'iris bleu
RomanceDepuis la mort de son compagnon, trois ans auparavant, Meï Sullivan ne se sent plus tout à fait la même. Tout est devenu plus difficile et compliqué. Ses relations avec la gente masculine sont au point mort et ceci semble lui convenir au grand dam d...