Chapitre 32

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En arrivant au cimetière, je salue brièvement le fossoyeur. A chaque fois que je me rends ici, je me pose l'éternel question qui est « comment on peut se réveiller un bon matin et se dire je vais devenir fossoyeur? ». En effet, s'occuper de personnes mortes et enterrée n'est certainement pas le métier le plus agréable et le plus joyeux. Je ne prétends pas qu'il est inutile, s'il existe c'est qu'il a une utilité mais oui je me demande comment on peut vivre heureux en étant toute la journée avec des morts.

J'emprunte les différentes allées qui me séparent de Matthew, puis reste devant sa tombe quelques minutes sans rien dire. Me rappelant juste des tas de souvenirs que je n'oublierais peut-être jamais, voilà pourquoi je n'aime pas me rendre ici. Ça me replonge continuellement après l'accident, l'hôpital et l'enterrement. Je me revois essayer de contenir mes larmes par respect pour le chagrin de tout le monde.

« Tu sais à quel point je n'aime pas venir ici. Ne m'en veux pas mais t'enterrer a déjà été suffisamment pénible pour moi et venir ici me rappelle toujours ceci. », m'excusai-je.

Au début, quand je venais régulièrement je pouvais rester des heures ici sans forcément lui parler. D'ailleurs je ne lui parlais jamais, j'avais peur que l'on me prenne pour une folle. Avec le temps, je me suis mise à lui parler en sachant pertinemment qu'il ne me répondrait pas. Je sors de mon sac, la bague de fiançailles et le contemple quelques instants en me disant que d'ici quelques minutes elle ne m'appartiendra plus. M'a-t-elle appartenue un jour ?

« Un ami m'a dit que si cette bague symbolisait trop de choses douloureuses, il valait mieux que je m'en sépare ou que je te la redonne. Il est fleur bleue je te l'accorde mais il a raison, je dois te la redonner. Cette bague ne m'a jamais appartenue et je le regrette, tu sais. Tu a été un vrai idiot d'avoir peur que je te dise non, tu sais très bien que je t'aimais assez pour te dire oui. Je l'aurais certainement gardé si elle ne me rappelait pas le fait que je ne serais jamais ta femme, ni la mère de tes enfants. Je suis désolé... désolé d'avoir pensé que l'on avait le temps pour tout, désolé d'avoir cru à un moment que l'on était immortel et la vie devant nous. Si seulement je pouvais revenir en arrière et te dire une dernière fois que je t'aime, que je veux t'épouser et avoir des enfants avec toi. Pendant trois ans j'ai survécu et je commence tout juste à me dire que je dois avancer sans toi d'où peut-être mon voyage humanitaire en Chine pendant deux ans. Je crois que ça va me faire du bien de partir d'ici et de me retrouver. J'ai aussi fait du tri dans nos souvenirs, j'espère que tu ne m'en voudras pas. J'ai passé des moments merveilleux avec toi et d'autres moments beaucoup moins merveilleux mais ce n'est pas en me les remémorant constamment que je vais avancer. J'ai envie que ta mort serve à quelque chose, qu'elle ne soit pas une mort inutile. Voilà pourquoi je pars aussi, j'avais ce projet depuis tellement longtemps mais je m'étais refusée de le faire pour le bien-être de notre couple. Puis je préfère me dire que je vis pour nous deux plutôt que de survivre en attendant de te rejoindre. Daniela avait raison depuis le début, tu préférerais certainement me voir heureuse et épanouie enfin je préfère me dire ça que le contraire. »

J'essuie les quelques larmes qui coulent sur mes joues et enterre la bague près de lui. Je pose ma main dessus tandis qu'une légère brise se fait sentir sur ma peau. Est-ce un signe provenant de lui ? Non, je ne pense pas enfin je ne crois pas aux signes après la mort. Mais je dois avouer que ça me plait cette fois-ci de le croire, de croire que c'est possible.

« Je t'aurais dit oui, il faut que tu le saches. Tu ne me vois et ne m'entends peut-être pas, mais moi j'ai besoin de te le dire. Je t'ai toujours eu dans la peau comme une vrai drogue et bien souvent quand je vois Stacey avec mon ami, j'ai l'impression de me voir avec toi. Je suis désolé d'avoir été si jalouse et si possessive avec toi en te laissant que très peu d'air parfois. Je me demande comment tu as pu l'accepter sans jamais me faire une quelconque remontrance, tu devais vraiment m'aimer à un point inimaginable pour accepter l'inacceptable. »

Je retire ma main du sol et finit par me relever. Je porte ma main sur ma bouche avant de la poser sur sa tombe en lui disant pour la dernière fois, je t'aime.


Quelques heures plus tard,

Après avoir été au cimetière et m'être baladée dans la forêt, j'avais fini par retourner à la boutique de June pour aller acheter mes fameux iris. Mais la voyant en galère complète avec sa composition florale, j'avais décidé de l'aider. On était bien restée deux ou trois heures dessus, puis on s'était accordée une pause repas. Voilà pourquoi je me retrouve en ce moment même dans un bistrot avec June.

« Alors tu lui as rendu sa bague ?

— Oui ce n'était pas évident mais je l'ai fait !

— C'est bien, j'espère que ça va te permettre d'avancer.

— J'espère aussi mais je me sens soulagée ! Je me sens moins coupable que ce matin. Lui dire que je l'aimais et que je lui aurais dit oui et m'excuser pour certaines choses, ça m'a libéré d'un poids.

— Tu te dis que maintenant il sait tout ?

— Un peu oui... C'est idiot parce qu'il ne m'a pas vu, ni entendu mais je m'en fiche pour moi je lui ai tout dit ».

Elle me sourit tandis que nous demandons l'addition.

« Il ne te reste plus qu'à faire le point en Chine sur qui tu es, ce que tu veux faire et ce que tu aimerais être !, s'exclama-t-elle en souriant.

— Oui.

— Tu pars quand ?

— Fin septembre...

— Tu sais que tu vas nous manquer, me dit-elle.

— C'est ce qu'Abrían m'a dit l'autre jour quand il m'a aidé à faire du tri. J'espère bien que je vais vous manquer, plaisantai-je.

— Évidement Abrían ! »

Elle se met à rire sans que je ne comprenne pourquoi. Nous payons notre repas avant de partir chacune de notre côté, elle au travail et moi chez moi. Le temps s'est nettement réchauffé depuis ce matin et j'ai bien hâte d'être chez moi au frais.

L'iris bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant