Une vingtaine de minutes plus tard, Daniela arrive enfin dans le hall. Contrairement à moi, elle a le sourire. Ça ne m'étonnerait absolument pas qu'Andrew lui ai raconté la cause de ma chute, bravo pour le secret médical.« Alors la cascadeuse du dimanche, comment ça va ? », dit-elle hilare.
Je lève les yeux au ciel avant de me lever. Je déteste ces béquilles, j'ai toujours peur de tomber la tête en avant.
« Il n'a pas pu s'empêcher de te raconter, soupirai-je.
— Andrew ?
— Non le pape, répondis-je en la suivant
— Mais ce n'est pas Andrew qui me l'a dit !
— Alors c'est qui ? Abrían ?
— Je vois que tu as vu tout le monde », rit-elle.
Nous arrivons à la voiture où Daniela m'aide à y entrer. J'ai l'impression d'être une handicapée avec ce plâtre et ces béquilles. Elle entre à l'intérieure aussi et démarre la voiture dans un grand fracas. Sa boîte d'embrayage a du aimer ce moment, pensai-je ironique. Daniela est une bonne conductrice en temps ordinaire mais dès qu'elle est un peu nerveuse, sa conduite s'en fait ressentir.
« C'est lui qui m'a mis le plâtre d'ailleurs je te jure qu'il va me le payer !, m'emportai-je.
— Abrían ?
— Non le pape !
— Ça fait beaucoup trop de papes pour moi, rit-elle.
— Il ne m'a même pas prévenu qu'il allait remettre correctement ma cheville...
— Je dois admettre que ce n'est pas cool mais bon vu comment tu t'en prends parfois à lui, il a eu bien raison de se venger ! J'aurais fait la même chose ! »
J'émets un bruit de protestation devant son air faussement vexé. J'ai toujours été cordiale avec lui enfin je crois sauf la fois où j'étais bourrée et aussi hier quand on s'est revu.
« Fin passons. Tu en as pour combien de temps ?
— Un mois, dix jours d'arrêt et dix jours de rééducation...
— Pour une couette, ça fait cher la chute !
— Oui bon bah ça va », ralai-je.
Elle explose de rire à n'en plus pouvoir respirer tandis que je m'occupe en regardant le paysage qui défile sous mes yeux. Il neige abondamment, recouvrant peu à peu les toitures, les voitures et les trottoirs. Après une vingtaine de minutes nous arrivons enfin chez moi où je pousse un vrai bruit de soulagement quand mes fesses entrent en contact avec le canapé. J'ai l'impression que ça fait une éternité que je n'étais pas rentrée chez moi.
« Si tu as besoin d'aide durant le mois, tu me le dis !, m'avertit-elle en s'asseyant à côté de moi.
— Je te demanderais peut-être pour les courses.
— Je demanderais demain à Harper pour qu'il te donne du travail que tu puisses faire à la maison. Je sais que tu vas devenir folle entre ces quatre murs si tu ne fais rien, me sourit-elle.
— Surtout que j'ai laissé les manuscrits dans le bureau...
— Je te les récupérerais demain », me dit-elle avant de se lever.
J'acquiesce alors qu'elle me propose de préparer à manger. C'est vrai que je n'ai rien mangé depuis hier soir et mon ventre commence à crier famine. Gênée, je la remercie de bien vouloir le faire à ma place. Elle me sourit simplement avant de se mettre à la tâche. Je m'assois sur la chaise et la regarde cuisiner. Andrew doit être vraiment ravi d'avoir de temps à autre des repas cuisinés par Daniela, c'est une excellente cuisinière. Mieux que moi et Joy réunies.
« Tu n'as pas trop mal quand même ?
— Un peu mais moins que tout à l'heure quand il m'a remis la cheville en place, m'énervai-je.
— Ça ne serait pas Abrían, tu n'en ferais pas tout un plat !
— Mais ce n'est pas vrai ! Il aurait pu s'appeler Idiot du village et j'aurais eu tout aussi mal !
— Oui mais l'idiot du village tu ne l'as pas pris en grippe, Abrían si.
— Mais n'importe quoi ! Je ne le connais même pas !
— Justement ! Tu as peur de le connaître donc tu le prends en grippe !
— Non mais n'importe quoi ! Il est sympas sauf...
— Sauf quand il remet ta cheville en place, on a compris l'idée ! », dit-elle.
Je soupire avant de taper mes doigts sur la table, pensive.
« Tu penses à quoi ? », me demanda Daniela après quelques minutes de silence.
Je secoue la tête et remarque qu'elle avait déjà tout mis sur la tête et je ne m'en suis même pas rendue compte.
« Je n'étais pas retournée à l'hopital depuis... depuis la mort de Matthew...
— Heureusement, souligna Daniela
— Ce que je veux dire c'est que ça m'a rappelé sa dernière semaine...
— J'avais très bien compris ! Seulement il y aura toujours des choses et des événements qui te le rappelleront...
— Je sais...
— Il faut que tu arrêtes de le voir partout sinon tu n'arriveras jamais à faire quoique ce soit d'autres ! Je ne te dis pas de te jeter dans les bras du premier venu pour passer à autre chose par contre !
— Encore heureux, m'indignai-je.
— Mais essaie... Je ne sais pas... de faire des choses que tu faisais avec lui et que tu pourrais faire toute seule maintenant...
— Ça me fera trop mal, reconnus-je.
— Essaie au moins », m'encouragea Daniela.
J'acquiesce à contrecœur tout en chipotant sur la nourriture dans mon assiette. Je viens de perdre toute forme d'appétit. Elle me prend la main dans un geste réconfortant tandis que des larmes jaillissent sans que je ne puisse faire quoique ce soit pour les arrêter.
« Oh Meï, je ne voulais pas te blesser !, admit-elle en me serrant dans ses bras.
— C'est trop difficile sans lui », sanglotai-je.
Elle se détache de moi et me sourit difficilement.
« Oui mais tu es en vie et tu mérites tout ce qu'il y a de meilleur dans ce monde et tu sais pertinemment qu'il n'aimerait pas te savoir dans un état pareil. Il voudrait que tu avances et que tu fasses ta vie...
— Tu dis ça pour que je passe à autre chose...
— Oui je le reconnais. Je ne sais pas ce qu'il penserait réellement de tout ça, peut-être qu'il n'aimerait pas que tu te maries et que tu aies des enfants. Peut-être qu'il serait jaloux. Peut-être qu'il voudrait que tu le pleures tout le reste de ta vie.
— Tu vois...
— Mais tu te vois mourir à 90 ans en ayant connu qu'une seule histoire d'amour ? Tu te vois sans enfants ? Parce que c'est le sacrifice que tu es en train de faire ! J'aime Andrew de tout mon cœur mais si je mourrais là maintenant, je voudrais qu'une chose...
— Laquelle ?
— Qu'il rencontre une autre femme qui pourrait lui donner ce que moi je n'ai pas pu en étant en vie... Matthew je ne l'ai pas assez connu pour savoir ce qu'il en penserait de tout ça, mais je sais qu'il t'aimait énormément et qu'il n'aimerait pas te savoir comme ça ! »
Je m'essuie les yeux et me mouche dans le mouchoir avant de reprendre ma respiration. Elle a peut-être raison... Je dois peut-être prendre sur moi et essayer de faire quelque chose de ma vie, autre que d'essayer d'être une éditrice. Je finis par manger quelques bouchée pour ne pas avoir l'estomac vide. Daniela me sourit, ravie que je goûte enfin à son plat improvisé.

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L'iris bleu
RomanceDepuis la mort de son compagnon, trois ans auparavant, Meï Sullivan ne se sent plus tout à fait la même. Tout est devenu plus difficile et compliqué. Ses relations avec la gente masculine sont au point mort et ceci semble lui convenir au grand dam d...