Chapitre 52

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Le 10 novembre 2020, Fenghuang.

Adossée près de ma fenêtre de chambre, je contemple la vue. Malgré la légère brume, je peux apercevoir le mont où je vais régulièrement quand il fait un temps radieux. Un déluge s'abat dehors provoquant en moi un sentiment nostalgique, sans que je ne le veuille véritablement, je repense aux journées pluvieuses à Saguenay où je regardais par la fenêtre en pensant à Matthew. J'étais tellement triste, désemparée et transi d'amour à cette époque-là pour lui et lorsqu'il pleuvait j'avais l'impression que ça symbolisait ma tristesse et mes pleurs. La pluie représentait aussi un sentiment de grande solitude que j'éprouvais à ce moment-là. Cette solitude que je vivais au quotidien quand je rentrais à l'appartement ou quand je me réveillais le matin sans avoir personne à mes côtés.

Dorénavant quand je vois cette pluie s'abattre comme un déluge sur le toit de l'orphelinat et les cris des enfants en fond sonore, je ne peux m'empêcher de me dire que je suis parvenue tant bien que mal à avancer. Même si pour cela j'ai dû m'exiler à l'étranger. Pouvoir voir la pluie et ne plus ressentir ce vide béant dans mon cœur, c'est un soulagement. Même si certaines choses me font encore peur, je sais que je ne retournerai plus dans ce spleen qui a failli me perdre.

Je ne peux m'empêcher de penser alors à Abrían. Je ne sais pas ce que je lui dois, si c'est un peu ou beaucoup mais il est certain que je n'en serais pas là où j'en suis sans lui. Il m'a été bénéfique et même si au début je n'avais pas vraiment été réceptive à la main qu'il me tendait, j'avais finalement su l'accepter. En l'espace d'un an et demi, j'ai fait plus d'effort pour passer à autre chose qu'en trois ans d'essais. Pourquoi ? Ça c'est un vrai mystère. Aurais-je seulement un jour la réponse à cette question ?

Je me rassois devant l'écran de mon ordinateur où j'avais entrepris depuis quelques semaines à écrire une sorte de carnet de voyage. J'aime l'idée de garder une trace de cette mission humanitaire qui m'a permise par bien des procédés à me découvrir ou me redécouvrir. Je ne serais plus celle que j'étais et je ne le serais plus jamais. Pour autant je ne suis pas une autre non plus, j'ai peut-être compris plus de choses sur moi et sur les autres qu'avant. Les enfants sont une telle source de vie et d'innocence finalement qu'ils finissent d'une manière ou d'une autre a nous pousser dans nos derniers retranchements. Je me souviendrais toujours de Shu au début de cette mission qui m'avait demandé si j'avais un amoureux et que je lui avais dit oui. Elle m'avait alors demander s'il était à Saguenay et je lui avais répondu non pas vraiment. Seulement un enfant ne comprend pas les nuances que nous, adulte, utilisons chaque jour. Elle avait alors froncé des sourcils avant de me regarder bizarrement. Je lui avais alors précisé qu'en réalité il était au ciel. Elle m'avait alors demandé si c'était possible d'être amoureuse de quelqu'un qui était dans le ciel. Cette simple question a eu l'effet d'un électrochoc chez moi. Finalement ce qu'on aime ce n'est plus la personne mais ce qu'elle représentait pour nous, ce que l'on aime ce sont nos souvenir avec elle et tous les moments passés avec et qui ne pourront jamais se reproduire. A proprement parlé je n'éprouve plus aucun amour pour lui, juste une infini tendresse de celui qui a été mon premier amour et qui est mort tragiquement. Un amour ça s'entretient et ça se vit et de fait, on ne peut pas vivre cela avec un mort. Du moins c'est ce que je pense.

Le bruit sur mon ordinateur me sort de mes pensées. Un appel de Dani.

« Salut », me dit-elle avant de bailler.

Pourquoi toutes les personnes à qui je parle baille à un moment ou un autre ? Suis-je aussi ennuyante que ça ?

« Pourquoi tu ris ?

— Parce que je suis en train de me demander si je suis ennuyante. Vous baillez absolument tous quand je vous parle.

— Eh bien peut-être parce que nous sommes le soir à Saguenay et que l'on ressent les effets de la journée sur nos pauvre corps, dit-elle tragiquement.

— Ça doit être ça », dis-je en lui faisant un clin d'œil.

Elle me sourit puis reste silencieuse. Je repense à cet instant précis à Abrían qui m'avait parlé de Daniela et d'un problème qu'elle pourrait avoir avec le fait que je reste plus longtemps ici.

« Tu me racontes quoi ?, lui demandai-je.

— Bah justement... Je ne sais pas comment te le dire... Je n'ai pas envie que tu le prennes mal...

— Que je le prenne mal ? »

Je fronce des sourcils alors qu'elle pousse un long soupir qui en dit long sur son anxiété et sa nervosité.

« Ça fait deux mois que je veux te le dire mais...

— Daniela crache le morceau !

— Tu crois que tu pourrais venir juste une semaine en septembre prochain ?

— Euh je ne sais pas il faut que je vois avec la directrice. Pourquoi ? Quel est le rapport avec ce que tu veux me dire ?

— Eh bien... disons que j'aurais besoin d'une demoiselle d'honneur digne de ce nom », finit-elle par me dire en souriant.

Sous le choc, la bouche formant un « o », je ne dis plus rien. J'essaie d'analyser sa phrase tellement elle me semble invraisemblable.

« Tu quoi ?, répétai-je

— Je vais me marier et il faut que tu sois là ! Enfin si c'est possible !

— Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ? Je suis super contente pour toi en plus ! Je ne vois pas ce qui te faisait peur ! », ris-je.

Elle me regarde un peu perplexe. Je comprends alors qu'elle n'osait pas me le dire à cause de Matthew sauf que c'est une idiote parce que mon histoire n'est pas la sienne. Puis même sans cela, le fantôme de Matthew ne me hante plus.

« Tu aurais dû me le dire, j'aurais refusé de rester. Du coup je vais voir ce que je peux faire avec la directrice.

— C'est vrai ?

— Évidement Dani. Tu me vois ne pas aller au mariage de ma meilleure amie ?

— Non mais tu es sûre que ça va ?

— Mais oui je vais bien ! Je suis juste en colère que tu ne m'aies rien dit et qu'Abrian est gardé le silence ! », la rassurai-je.

Elle éclate de rire avant de me parler plus longuement des préparatifs du mariage et aussi le thème de ce dernier. Elle a l'air vraiment tres heureuse de s'unir à Andrew.

« Tu as demandé à une organisatrice ou pas ?

— Non ! Je veux qu'on le prépare tous enfin famille et amis.

— Je vois. Seulement je ne vois pas ce que je pourrais faire de Chine.

— Je trouverais bien quelque chose à te faire faire à distance. »

Je lui souris avant de m'excuser auprès d'elle car je dois retourner auprès des enfants. Chan est malade et même si je suis censée être de repos, j'aide par principe.

L'iris bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant