IV 4 - La fille du rocher

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Une autre fois, Maman m'emmena au jardin d'enfants sous prétexte de profiter du beau soleil.

Je maugréais en chemin : ce n'était pas la peine de marcher jusqu'à là-bas si je n'avais même pas le droit de jouer avec les enfants. Le soleil, je le voyais très bien de la fenêtre de ma chambre.

Maman, apparemment de bonne humeur, me répondit d'un ton léger :

« On verra bien ce qui va se passer. »

Ce qui se passa ce jour-là dans le jardin d'enfants était peu ordinaire : Maman adressa la parole à une dame qui se trouvait là, comme si c'était son amie, genre :

« Quel beau temps on a, aujourd'hui ! »

La dame lui répondit sur le même ton. Pourtant, elles ne se connaissaient pas. Ce n'était vraiment pas le genre de Maman de discuter avec des étrangers. Je n'y comprenais rien.

Maman demanda à la dame si elle voulait bien que je jouasse avec sa fille. Jouasse ? Tout le monde le fut, apparemment. La dame demanda à sa fille de m'emmener jouer avec elle.

La fille me prit par la main et m'emmena non pas sur le tourniquet mais sur le grand rocher qui était derrière les jeux parce qu'elle voulait jouer à se promener... m'enfin bon... en plus, étant moi-même une fille, j'aurais préféré rencontrer un garçon... m'enfin bon... en plus, je ne la trouvais pas très belle... m'enfin bon... en plus, je ne la trouvais pas très intelligente... m'enfin bon... je voulais bien quand même faire sa connaissance et la suivre dans ses jeux... si ça pouvait faire plaisir à Maman.

Son jeu préféré, c'était parler, parler beaucoup. Moi, je lui posais des questions. C'est comme ça que j'appris qu'elle venait souvent au jardin d'enfants et qu'elle y rencontrait toujours du monde : un jour moi, un jour quelqu'un d'autre... elle jouait indifféremment avec tous les enfants qu'elle trouvait sur son rocher. Sa mère ne s'y opposait jamais ; elle était libre.

Ça, c'était les réponses à mes premières questions. Après, ses réponses devinrent vaseuses ; même, elle ne me répondit plus du tout. Elle parlait, elle parlait beaucoup mais ne disait que des choses vides, répétait plein de fois les mêmes choses.

Elle parlait fort. Ça, oui. Était-ce seulement à moi qu'elle parlait ? Elle semblait poursuivre des aventures imaginaires dans lesquelles je ne figurais pas.

Quand je parvins à la sortir de ses rêveries, elle me dit :

« T'as qu'à y aller, sur ton tourniquet. Moi, je suis celle qui joue sur le rocher. Quand tu auras envie de jouer à mon jeu, tu reviendras. »

Elle avait raison. J'aurais volontiers suivi cette stratégie mais avec ma mère derrière, je n'osais pas m'y risquer. Je ne voulais même pas retourner auprès d'elle pour lui demander si j'avais le droit d'aller sur le tourniquet. Si c'était pour qu'elle me refît le coup de la fois précédente, non merci !

Ma mère avait voulu que je devinsse amie avec la fille du rocher. Pourquoi ? Je n'en savais rien mais il fallait que j'y parvinsse si je ne voulais pas qu'elle me traitât encore de sauvage et qu'elle m'obligeât à rester assise avec elle, sur son banc.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant