VI 3 - L'indigestion

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Quand j'entrai au cours préparatoire, j'allai à l'école avec la ferme intention de consacrer une année de ma vie à l'étude de la communication écrite. Arrivée là, je trouvai une maîtresse qui semblait impatiente de me l'enseigner. Je trouvais que ça tombait bien.

Elle me donna - et aux autres élèves aussi - plein d'explications et d'exercices. J'en étais submergée, à en avoir mal à la tête et au poignet mais je continuais quand même à écouter les explications et faire les exercices parce que je voulais y arriver, parce que j'avais soif d'apprendre. J'y mettais un tel acharnement que je croyais que la maîtresse s'essoufflerait avant moi. Eh ben non !

Elle continua à me donner tant et tant d'exercices que ce fut moi qui capitulai. Ma main était engourdie, mon crâne était KO. Je ne pouvais plus rien faire de valable.

Posant mon stylo, je m'avouai vaincue :

« J'en ai marre ! J'arrête.

- Non ! Encore ! »

répondit la maîtresse.

C'est capricieux de dire « encore » quand on a dit « ça suffit » ! C'est mal élevé ! À la maison, Maman disait toujours :

« Quand on joue ensemble, c'est bien mais si on dit "ça suffit", il faut arrêter. C'est une règle de conduite qu'il faut toujours respecter si on veut que le jeu reste plaisant pour tout le monde. »

J'étais soufflée par la grossièreté de la maîtresse. En plus, c'était crétin, de sa part, de réagir ainsi, étant donné que c'était pour moi que j'apprenais à écrire ; pour faire ce livre. Alors, si je lui disais que j'en avais marre, qu'est-ce que ça pouvait lui faire, à elle ?

En plus, cet incident - maintenant qu'il existe - encombre bêtement une page de mon livre.

Mais bon ! D'un autre côté, je supposai que si la maîtresse manquait ainsi de savoir-vivre, c'était parce qu'elle était complètement excitée par le plaisir de m'apprendre à écrire. Je ne voulus pas la décourager.

En plus, j'en connaissais une autre, comme ça, qui se laissait parfois emporter par ses défauts au lieu de faire ce qui est agréable aux autres : c'était moi ! Chaque jour, je m'efforçais de m'améliorer pour faire le bonheur des êtres vivants qui m'entouraient et que j'aimais.

De même, j'attendis patiemment que, par amour, la maîtresse rectifiât son comportement. Cela ne se produisit jamais car - ce que je ne savais pas de prime abord - elle obéissait à l'argent, pas à l'amour.

À la fin de l'année scolaire, je possédais toute connaissance requise pour me lancer dans la communication par écrit. Cependant :

• mon écriture était illisible et pleine de ratures - la laideur de mon écriture était le reflet de la souffrance que m'avait causé son apprentissage ;

• devant une page blanche, je ne trouvais en moi aucune pensée à exprimer - le fait de m'installer devant une page blanche (lettre, journal intime...) bloquait mon inspiration : je n'arrivais rien à écrire qui ne me fût dicté ;

• la vue d'un livre me donnait la nausée.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant