C'est vrai que mon père m'expliquait plein de choses, quand nous parlions de la chèvre de monsieur Seguin, le soir, avant de me coucher. En revanche, le coup de l'empoisonnement, c'est lui qui tint à ce que je le lui expliquasse.
En vrai, c'était ma maîtresse de CE2 qui disait tout le temps aux filles de ma classe :
« Oh là là ! tu me fatigues. Tu es un vrai poison ! » ;
« Ça suffit, maintenant ! Vous m'empoisonnez ».
Ce n'était pas à moi qu'elle disait ça mais je m'en étais inspirée dans mon rêve.
Cette explication ne satisfit pas mon père. Il voulu que nous remontassions au sommet de la montagne, c'est-à-dire que nous reprissions l'histoire de la chèvre de monsieur Seguin au moment où elle combat contre le loup.
« Au besoin, me dit-il, on ira prendre le livre mais cherche d'abord dans ta tête ! Dis-moi si tu vois quelque chose, dans la scène, qui peut aider la chèvre à tenir devant le loup !
- Ben oui, son herbe, répondis-je évidemment.
- Son herbe ?!
- Ben oui, tu t'rappelles pas ? L'histoire raconte qu'à chaque attaque du loup, la chèvre le repousse avec ses cornes et, après, elle arrache une touffe de cette bonne herbe tendre qu'elle trouve sous ses pattes. Et puis, elle retourne au combat les joues gonflées d'herbe. Même qu'à la fin, quand elle abandonne le combat, l'histoire dit qu'elle se couche sur sa chère herbe. Tu t'rappelles pas ? Même que sur la dernière image du livre, quand le loup a emporté la chèvre, on ne voit plus que l'herbe avec sa silhouette là où elle s'est couchée. Tu t'rappelles pas ?
- Si, maintenant que tu le dis. Mais en quoi est-ce que tu penses que cette herbe aide la chèvre à tenir debout devant le loup ? me demanda-t-il encore.
- Ben, parce que c'est sa nourriture. Pendant toute la nuit, le loup voudrait manger la chèvre mais il mange que dalle. Il a faim tout le temps alors que la petite chèvre, pendant ce temps-là, elle mange tout le temps, autant qu'elle veut. Quand on mange, on prend des forces. Y a que la chèvre qui en prend et en reprend tout au long du combat. »
Je n'inventais rien, sur ce coup-là. C'est exactement comme ça que l'histoire était présentée dans mon livre-disque. Pourtant, cela sembla ne pas convenir à mon père. Il me parut pertinent d'ajouter :
« Maintenant, l'histoire ne dit pas que cette herbe rend la chèvre empoisonnée pour le loup...
- Bon mais alors admettons que ce soit toi, la chèvre ! Ton herbe, ce serait quoi ?
- Mes cigarettes, bien sûr, m'exclamai-je joyeusement.
- Mais ! tu fumes pas ! »
L'air ahuri de mon père était rigolo.
« Ben non mais c'est seulement parce que chuis trop petite. Quand j'chrai grande, je fumerai.
- Mais ! qu'est-ce qui te le fait dire ?
- Ben... rien... je sais pas. Ah ! si, mon vœu. »
Oui, parce que quand j'étais petite et qu'on ne m'écoutait jamais, il fallait, soi-disant, que j'attendisse d'avoir sept ans pour avoir raison. Du coup, le jour de mes sept ans, toute seule dans ma chambre, j'avais prononcé le vœu suivant :
« Quand je serai grande, je fumerai des cigarettes. »
Même, des fois, le soir, dans mon lit, avant de m'endormir, je faisais semblant de fumer. Ça me détendait. Même, le soir, dans mon lit, quand j'étais enquiquinée par le petit garçon imaginaire qui la ramenait tout le temps et que je surnommais le Fantôme, j'avais trouvé un truc infaillible pour me débarrasser de lui : je lui soufflais la fumée de mes cigarettes imaginaires dans la figure. À chaque fois, il toussait et s'en allait en me traitant de sorcière. Hi ! hi ! hi !
J'avais le droit. Fumer réellement, je n'en n'avais pas le droit mais on ne pouvait m'interdire ni mon vœu, ni mes cigarettes imaginaires.
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DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?