IX 14 - Vous êtes un homme

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« Bien. Maintenant, choisis si tu vois en moi un homme ou un loup !

- Non. Je me souviens très bien, dans le cauchemar, avoir vu que le monstre avait le visage d'un homme.

- Oui mais tu peux changer d'avis. Si tu préfères voir en moi un loup, tu me verras fuir devant toi et disparaître comme une ombre insaisissable. Tandis que si tu choisis de voir en moi un homme, tu devras te confronter à mon intelligence et à ma volonté. »

C'était bizarre que mon imagination me racontât de telles choses, tellement bizarre que ça en devenait presque amusant. Où donc allais-je chercher tout ça ?

« Ha ! Ha ! Ça vous arrangerait bien que je vous laisse prendre le masque du loup pour pouvoir vous enfuir librement et revenir ensuite me hanter comme une ombre insaisissable. Eh ben non. Dans mon cauchemar, j'ai su m'arrêter de courir, me retourner, regarder le monstre en face et voir que c'était un homme. C'est ma victoire. Pourquoi est-ce que je mentirais en disant que j'ai vu un loup ? Je veux de la cohérence, pas les ombres troubles des marécages. Vous êtes un homme, monsieur. »

Toute seule dans ma chambre, j'écoutai le silence. Bien que je me laissais prendre au jeu de mon personnage imaginaire, ma peur diminuait petit à petit. J'entendis une voiture passer dans la rue Jean-Pierre Timbaud et s'enfoncer dans le lointain.

N'ayant plus la force de maintenir mes paupières baissées, mes yeux s'ouvrirent et je discernai, autour de moi, des ombres que je ne parvenais pas à identifier : je mettais toujours tant de fouillis dans ma chambre que j'étais incapable de me rappeler ce qui traînait ici et là. Si seulement j'avais eu le droit d'allumer la lumière ! Qu'est-ce que ça pouvait bien être, ce truc qui avait la forme d'une silhouette, au pied de mon lit ?

En tout cas, tout était immobile. Je ne vis aucune ombre insaisissable se faufiler parmi les statues.

Le temps passa.

« Ben bien sûr. Qu'est-ce qu'y pourrait faire d'autre ? Ça, c'est les phrases débiles des adultes pour meubler les vides. C'est nul de mettre ça dans un livre. »

Un vide se fit sentir.

J'étais toute seule, dans ma chambre, entourée des ombres immobiles de mes affaires ; immobile, j'étais aussi, tellement mon cauchemar m'avait fait peur. Dans mon imagination, il y avait un homme, immobile lui aussi, caché à l'autre bout de la pièce, derrière le secrétaire de mon père.

C'est saugrenu, quand on y réfléchit !

« En admettant qu'un homme soit réellement dans ma chambre - un cambrioleur ou un hors-la-loi qui se serait infiltré dans la maison par la porte qu'on aurait oublié de fermer ; mettons ! - Pourquoi y resterait caché là depuis plus d'une heure que je fais semblant de dormir ? C'est la petite fille Angélique endormie qui le terrorise à ce point-là ? »

Intérieurement, je ris de moi-même et de ma bêtise. Forcément, ce personnage qui restait absurdément prostré derrière le secrétaire ne pouvait pas être un homme mais seulement le fruit de mon imagination enfantine.

« Bon, allez ! le jeu est terminé. »

C'était comme si j'avais eu peur de mon reflet dans le miroir.

« Oui, bien sûr, si un homme a quelque chose à se reprocher, il se cache, éventuellement, mais pas indéfiniment. »

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant