Cesson, juillet 1974. Mon grand bonheur.
Bon, c'est vrai que je n'avais pas de copine - je n'en avais plus - mais, de toute façon, à Courbevoie, je n'en avais jamais eu.
À Cesson, il m'était déjà arrivé d'avoir une copine : Françoise. Je l'avais rencontrée l'été précédent et nous avions joué ensemble durant presque tous les après-midi du mois d'août, de 14h à 19h. C'était super.
Elle m'avait alors beaucoup parlé de sa grande amie Muriel. Toutes deux avaient la chance d'habiter à Cesson. Elles étaient voisines et se connaissaient depuis l'âge d'un an.
Muriel était partie en vacances tout le mois d'août et quand je quittai Cesson pour retourner à Courbevoie, elle n'était toujours pas revenue. Du coup, j'avais beaucoup entendu parler d'elle mais je ne la connaissais pas.
Puis, à Pâques, mes parents avaient décidé de me remmener en vacances à Cesson, tellement je dépérissais à Courbevoie. De toute façon, la maison de Cesson, elle était à nous.
Dès que nous arrivâmes, à Pâques, j'enfourchai joyeusement mon vélo et me hâtai d'aller voir Françoise. Seulement, lorsque je fus devant chez elle, je l'aperçus dans le jardin de son voisin d'en face. Alors, prise de trac, je passai mon chemin sans m'arrêter. Mon cœur était envahi de déception et d'amertume quand j'entendis, derrière moi, la voix de Françoise crier :
« Angélique ! Angélique ! »
Je fis la sourde oreille et continuai mon chemin. Je ne pouvais pas croire qu'elle voulait être ma copine. J'étais tellement habituée à être rejetée et moquée, à l'école de Courbevoie. Pourquoi Françoise m'appelait-elle ainsi ? Pour me tourner en dérision devant son voisin ? C'était décidé : je m'en allai.
Me voyant partir, Françoise se tut mais, alors que j'atteignais le rond-point, je l'entendis de nouveau clamer :
« Ange ! »
Promptement, je serrai mes freins et mis pied à terre : si Françoise usait de flatterie, c'est qu'elle voulait vraiment que je restasse jouer avec elle.
Toutes les après-midi des vacances de Pâques, de 14h à 19h, nous les passâmes à jouer ensemble ; une fois chez elle, une fois chez moi (règle strictement imposée par ma mère). Par contre, toujours pas de Muriel ! Quand j'en parlais à Françoise, elle me répondait :
« Oh ! Muriel... Muriel... j'la vois toute l'année. J'préfère profiter d'toi tant qu't'es là. »
Était-ce qu'elle avait honte de moi, qu'elle ne voulait pas me présenter à sa grande amie ? C'est ce que je supposais. Il n'empêche qu'on s'était bien amusées et que j'avais hâte que vinssent les grandes vacances pour retourner à Cesson jouer avec Françoise.
Cette fois, même si, en arrivant, je la trouvais avec quelqu'un que je ne connaissais pas et que j'en fusse prise de trac, il n'était pas question que je passasse devant elle sans m'arrêter.
« Tu m'refais pus c'coup-là ! »
m'avait-elle dit.
En fait, non. Quand j'arrivai devant chez elle, je ne vis personne dehors. Je posai mon vélo contre le mur, franchis son portail et montai l'escalier. C'était une de ces maisons modernes où on vit à l'étage, au-dessus d'un sous-sol avec garage.
En haut de l'escalier, je frappai à la porte. Elle s'ouvrit, la mère de Françoise apparut et me dit :
« Ah ! Tu es Angélique ? Ah ! ben t'as pas d'chance. Françoise vient tout juste de partir en vacances. Elle s'ra là en août. Reviens le 1er août ! Tu s'ras toujours à Cesson, au mois d'août ?
- Oui. Mon grand frère et ma grande sœur vont partir à l'étranger quelques semaines, en juillet mais moi, je reste à Cesson tout l'été. J'aime pas les colonies de vacances. »
Je redescendis l'escalier bien tristement mais quand je fus de nouveau dans la rue, une fille brune vint à moi, me demanda si j'étais Angélique et me proposa de faire un tour en vélo avec elle.
C'était Muriel. J'étais super contente de faire sa connaissance mais, bien vite, elle devint méchante avec moi et, entourée d'autres enfants de son quartier, elle n'arrêtait pas de me dire :
« Va-t'en, la Parisienne ! On veut pas d'toi chez nous. »
Je ne comprenais pas ce que j'avais fait de mal.
Alors, voilà. Comme Muriel était l'amie de Françoise et que Muriel me chassait, il fallait que je m'attendisse à ce que Françoise me chassât pareillement.
Alors, voilà. Je n'avais plus de copine. Mais je m'en fichais. J'étais heureuse en vacances. À part les serpents, à Cesson, je ne faisais jamais de cauchemars.
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DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?