Quand on revient de vacances, on retrouve son quotidien avec un regard frais.
Quand on revient de vacances à Cesson et qu'on retrouve Courbevoie, ça fait un drôle d'effet.
Papa et Maman nous avaient déposés sur le trottoir avec les valises ; nous devions attendre là qu'ils eussent rangé la voiture dans le box.
J'observais cet étrange décor familier fait de grisaille, de pots d'échappement et d'âmes humaines quand je vis passer, sur le trottoir d'en face... devine qui ! le vieux monsieur bossu, avec sa canne et ses éternels habits noirs.
Le désignant, je fis la remarque :
« Tient ! rev'là le vieux Courbevoie. »
Cela fit marrer Caki, tandis que Nani opina :
« Ben ! t'es rosse de l'appeler comme ça, ce pauvre bonhomme. Il t'a rien fait !
- Ben quoi ? C'est pas lui qu'on appelle le vieux Courbevoie ?
- Bien sûr que non. Pourquoi on l'appellerait comme ça. On le connait pas.
- Mais si ! il arrête pas de passer et de repasser sur le trottoir d'en face. T'as pas remarqué ?
- Peut-être. Et alors ? Il a le droit. C'est pas une raison pour l'insulter... »
Oh là là ! des fois, elle n'était vraiment pas marrante, Nani.
Je n'avais voulu insulter personne, moi. À la maison, j'entendais souvent parler du vieux Courbevoie. Je m'étais mis dans la tête qu'il s'agissait de ce monsieur parce qu'il évoquait pour moi la vieillesse de Courbevoie.
Il y avait plein de vieux, à Courbevoie. À Cesson aussi, il y en avait mais ce n'étaient pas les mêmes. Les vieux de Cesson avaient l'air plus énergiques, plus vigoureux, plus présents à la vie.
Les vieux de Courbevoie, quand je les voyais passer dans la rue, j'avais l'impression que leur vie n'était plus présente en eux, qu'elle était derrière eux, bien rangée dans des tiroirs. Ils ressemblaient à des vestiges. Ce n'est pas péjoratif, c'est pathétique.
Dans les rues de Courbevoie, je voyais passer plein de vieilles dames aux cheveux blancs relevés en chignons et aux longues robes noires, toutes noires. Elles semblaient ne jamais sourire.
Les vieux de Cesson, c'étaient des paysans aux bottes en caoutchouc. Ça ne se voyait presque pas qu'ils étaient vieux. D'ailleurs, je n'avais jamais entendu parler d'un quelconque vieux Cesson.
Quand Maman nous rejoignit, Nani lui répéta ce que j'avais dit du vieux monsieur bossu.
Maman en fut mécontente. Elle me fit sa morale, genre :
« Ben enfin, ça va pas, non ! Qu'est-ce qui te prend d'être impolie avec les passants ? »
Cela m'énerva. Je ne pouvais jamais rien dire qui ne fût mal pris. En plus, ce n'était pas moi qui disais tout le temps du mal des gens sous cape, alors !... En plus, si le vieux monsieur bossu s'était retourné vers nous, c'était parce qu'il avait entendu Caki rire fort, alors !... Caki, on ne lui disait rien. C'était tout le temps moi qui prenais. En plus, je n'avais rien inventé : c'était Maman qui parlait tout le temps du vieux Courbevoie. Moi, je n'avais fait que répéter ses paroles, alors !...
« Si c'est pas ce monsieur-là que t'appelles le vieux Courbevoie, alors qui c'est ?
- Personne. »
répondit Maman en haussant les épaules.
Ben voyons !
« J'ai pas rêvé ! J't'ai bien entendue dire plein de fois : "le vieux Courbevoie". Tu vas pas me dire que c'est pas vrai ?
- C'est un quartier, le vieux Courbevoie. C'est un quartier de Courbevoie qu'on appelle comme ça.
- Ah ? »
Bon, d'accord. Je m'étais trompée.
« N'empêche que...
- Fiche-moi la paix ! tu me fatigues. »
interrompit Maman.
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DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?