Quand on reçoit un bel outil en cadeau, on pense à tout ce qu'on va pouvoir faire avec. Plus le cadeau fait plaisir, plus on rêve à l'utilisation qu'on va lui donner et, vite, on se met à l'ouvrage.
Quand on possède une intelligence, il faut la mettre au service d'une quête.
Tu te rappelles le coup des petites fourmis ? Moi, mon intelligence, j'avais envie de la mettre au service des animaux, pour les protéger contre l'indifférence des adultes.
Tu te rappelles, aussi, l'histoire de la mouche, en colonie ? Non. Cherche pas ! Je ne te l'ai pas encore racontée.
C'était quand j'avais huit ans. J'étais partie trois semaines en colonie. Je n'avais pas aimé du tout. Ça ressemblait beaucoup plus à une ambiance d'école qu'à une ambiance de maison ou de rue. Du coup, j'étais tout le temps toute seule dans mon coin.
Sûr qu'à l'heure du repas, j'étais à table comme tout le monde mais je ne parlais pas.
Je ne sais plus si c'était au cours du repas du midi ou du repas du soir. Un garçon était assis en face de moi, le poing posé sur la table. Une petite mouche marchait sur la nappe, juste à côté de lui. Il la regardait passer gentiment - apparemment - mais, brusquement, il retourna son poing sur la pauvre bête et l'écrasa.
Il s'exclama :
« Ouais ! J'ai réussi ! J'l'ai eue ! »
Moi, je trouvais ça vachement méchant mais je n'osai rien dire. Si c'était pour que tout le monde se moquât de moi, ce n'était pas la peine.
Je me sentais seule et incomprise au milieu d'enfants méchants. Je les imaginais déjà tous se livrant à un concours de tuerie de mouches quand la fille à côté de moi dit au garçon :
« T'es vachement méchant, toi ! Pourquoi t'as tué la mouche ? »
Une autre fille démarra :
« Ouais ! Elle t'avait rien fait, d'abord. Méchant ! »
Le garçon crut pouvoir se défendre en arguant que les filles sont bêtes mais un garçon se leva et l'incrimina à son tour... puis un autre... et encore un autre.
Le garçon qui avait tué la mouche demanda en rigolant bêtement :
« Y en a pas un qu'est de mon côté ? C'était rien qu'une mouche. »
L'excitation monta. Tous les enfants de la tablée - sauf moi - parlèrent tour à tour contre lui. Rien qu'une mouche ? C'était une petite créature ignorante ; elle ne méritait pas la mort. Voilà ce qui se disait mais...
« Mais demande à Angélique ! C'est la seule qu'a rien dit. Peut-être qu'elle, elle est de ton côté. »
proposa un garçon.
Tous les regards se tournèrent vers moi, alors je fis non de la tête.
« Quoi, "non" ? Qu'est-ce que tu veux dire ? Parle ! »
demandèrent les enfants.
Alors, j'ouvris la bouche et dis d'un ton grave :
« Fallait pas tuer la mouche. C'était méchant. »
Malgré mon air très sérieux, je fis marrer tout le monde, même le garçon qui était en face de moi (celui qui avait tué la mouche). Moi seule ne riais pas.
Notre table était devenue si bruyante et agitée que les moniteurs commencèrent à s'en inquiéter. Pourtant, ce ne fut pas eux qui intervinrent pour calmer le jeu. Le garçon qui avait, tout à l'heure, demandé mon avis sur la question - ce n'était pas lui, mon amoureux - se mit debout sur sa chaise et réclama le silence.
Dès qu'il l'eut obtenu, il expliqua que, selon lui, ma réponse n'était pas significative parce qu'il était probable que je fusse influencée par la majorité.
Il réitéra sa question, me précisant qu'il ne fallait pas que je me laissasse intimider par le nombre. J'avais le droit d'être du côté du garçon tout seul mais il fallait que je disse la vérité.
Tous les regards, avides de réponse, se tournèrent vers moi. Pour le coup, je tenais la tablée en grand silence. Cette pensée me fit rigoler et mon rire énerva tout le monde. L'agitation refit surface.
Est-ce que je me moquais de tous ? Et puis, d'abord, qu'est-ce qui permettait de croire que, cette fois, j'allais dire la vérité ? Qu'est-ce qui le prouverait ? Et puis, d'abord...
« ... pourquoi c'est à Angélique de trancher ? »
Les garçons firent taire les pipelettes - les accusant de jalousie parce que moi, j'avais un amoureux et pas elles - on me demanda de me lever et je pus enfin m'exprimer :
« D'un certain côté, dis-je, je comprends le garçon qui a tué la mouche parce qu'il s'est comporté comme... mes parents ; comme tous les adultes que je connais. Ils trouvent que les mouches, c'est sale-alors-faut-les-tuer. Ils achètent des "tapettes" pour mieux les écraser, des "tue-mouches"... Ils sont majeurs et en majorité mais moi, chuis pas d'accord. C'est méchant de tuer les petites mouches : èes ont rien fait de mal. »
Notre tablée retentit en cris de joie : mon discours faisait l'unanimité.
Visiblement ému (bien qu'amusé), le garçon qui avait tué la mouche cria, pour se faire entendre au milieu de l'euphorie générale :
« Pardon ! Je suis une petite créature ignorante. J'implore le pardon. »
et nous pardonnâmes.
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DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?