X 2 - c'est l'intention qui compte

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Elle était gentille, ma maîtresse : hors de l'école, elle avait pensé à moi, elle s'était dit qu'elle avait envie de me faire un cadeau et elle avait cherché ce qui aurait pu me faire plaisir. Évidemment, elle n'allait pas m'offrir le disque en lui-même ; sinon, il aurait fallu qu'elle en achetât autant à toutes les autres filles de la classe ; sinon, ça n'aurait pas été juste. Ses cadeaux ne pouvaient se borner qu'à dédier un cours à telle élève ou à telle autre.

J'ouvris grand mes yeux et mes oreilles, avide de découvrir le cadeau pour moi...

C'était moche ! C'était une musique pas belle, pas entraînante, pas joyeuse, pas du tout plaisante à mon oreille. Quand la chanteuse démarra, ça n'y arrangea rien : aucun charme, aucun sentiment, aucune subtilité. J'essayai de la reconnaître à sa voix mais ce n'était probablement pas une chanteuse connue qui passe à la radio, pour chanter aussi mal.

« Ben dis donc ! elle a de drôles de goûts, la maîtresse. »

pensai-je en moi-même.

Tournant la tête vers elle, je m'aperçus qu'elle n'était pas en train de me regarder avec un large sourire, comme on fait communément quand on offre un cadeau à quelqu'un et qu'on attend de voir la joie qu'il aura à le recevoir. Non. Elle ne me regardait pas du tout. Elle ne souriait même pas. Elle était assise, d'un air passif, comme si elle attendait simplement que l'audition de son disque fût terminé pour passer à autre chose. Où est-ce qu'elle était si sûre d'elle, si sûre de me faire plaisir, qu'elle n'éprouvait même pas le besoin de regarder ma réaction ?

Pauvre maîtresse ! elle ne se doutait pas combien je le trouvais moche, son cadeau. Elle avait choisi de mettre en classe une musique, tout spécialement pour moi et moi, je n'étais pas capable de l'apprécier.

Ce n'est pas grave. C'est l'intention qui compte. Un cadeau, ça fait toujours plaisir. Un cadeau, c'est quelque chose d'unique et de merveilleux. Merveilleux, parce que c'est un geste d'amour. Unique, parce que la maîtresse n'aurait pas fait le même cadeau à quelqu'un d'autre que moi, c'était ma personne qui le lui avait inspiré ; et moi, je n'aurais pas reçu le même cadeau de quelqu'un d'autre que la maîtresse, c'était à sa personne que je l'avais inspiré.

N'empêche que je lui avais inspiré une musique drôlement moche... selon mes goûts. Du coup, si elle m'avait offert le disque en lui-même, il n'aurait pas été de ceux que j'aurais eu envie d'écouter tous les jours. Il serait resté, la plupart du temps, tout en bas de ma pile de 45 tours. Toutefois, un jour ou l'autre, je l'aurais repris et j'aurais eu envie de l'écouter, en souvenir de ma maîtresse ; pour la retrouver dans mon cœur, au travers de cette musique, reflet de sa sensibilité.

Bon, en réalité, ce n'était pas le disque en lui-même qu'elle m'offrait, c'était un cours consacré à l'apprentissage de la chanson. Ça revient au même et c'est peut-être mieux ainsi. J'aime chanter, j'aimais qu'on me l'apprît. Sans doute n'était-ce pas le genre de chanson que j'allais chanter tous les jours, dans ma chambre, en dansant de joie mais, de temps à autre, assise dans un coin, je la fredonnerais en repensant à cette vieille dame qui, quand j'avais six ans, consacra une année de sa vie à me révéler la si précieuse connaissance de la lecture et de l'écriture. Et puis, un disque, ça s'use alors que, dans ma mémoire, le cadeau ne serait jamais perdu.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant