VI 8 - Le crayon à papier

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Quelques jours après, une maîtresse de l'école des garçons tomba malade et il fallut que ses élèves fussent dispatchés dans plusieurs classes. En particulier, cinq d'entre eux devaient venir dans la nôtre.

J'te dis pas l'état de ma maîtresse, ce matin-là :

« Pourquoi fallait que ça tombe sur moi [...] si près de la retraite [...] je m'en fais des cheveux blancs ! »

Moi, ça ne me paraissait pas très grave, étant donné que tous ses cheveux étaient déjà blancs.

Après cette pathétique entrée en matière, la maîtresse sembla se ressaisir d'un coup, disant avec sang-froid :

« Bon ! En attendant leur arrivée, il faut nous préparer à les accueillir. »

La préparation consistait à libérer des places dans les premiers rangs parce que la maîtresse voulait les avoir à l'œil. Moi, qui étais au deuxième rang, je voulais bien leur laisser ma place et aller au fond de la classe mais la maîtresse me dit :

« Non. Toi, avec ton cache, je veux que tu restes devant pour bien voir le tableau. De toute façon, toi, tu es dans les places latérales. Moi, c'est les places du milieu que je veux qu'on libère ; qu'ils soient bien en face mon bureau pour que je puisse les avoir à l'œil. »

Tout était prêt quand madame la directrice ouvrit la porte de notre classe. Aussitôt, la maîtresse retomba dans le tragique, sous prétexte qu'elle était proche de la retraite.

« Allons ! Allons ! répondit la directrice. C'est juste pour deux heures... même pas... à peine plus d'une heure. »

Madame la directrice fit entrer cinq garçons. Aucun d'entre eux n'avait les cheveux à la fois blonds et bouclés, ce qui voulait dire que Camille n'était pas là.

La maîtresse indiqua aux garçons les places qui les attendaient et ils s'assirent au milieu de nous. Ils semblaient quelque peu gênés.

Soudain, la maîtresse prit un ton très sévère, que je ne lui connaissais pas, pour dire aux garçons, genre :

« J'vous préviens : j'vous ai à l'œil... ça va mal se passer... le premier qui bouge, je l'envoie chez madame la directrice... »

Pourtant, d'habitude, elle était gentille, ma maîtresse. Était-ce la peur qui la rendait si agressive ? Son discours de malvenue rendit les garçons visiblement bien tristes et mal à l'aise mais ils gardèrent le silence.

La maîtresse redevint elle-même et dit à tous les enfants, sur le même ton que les autres jours :

« Prenez vos crayons à papier ! »

J'ouvris ma trousse, vis mon crayon, le pris, le tins dans ma main dans la position pour écrire - comme on m'avait appris - et attendis. En attendant, je regardai les garçons... pour trois raisons. La première, c'est qu'ils étaient assis à proximité de moi ; la deuxième, c'est qu'ils n'étaient pas là, d'habitude ; la troisième, c'est que je voulais comprendre en quoi il était important de les avoir à l'œil, comme disait la maîtresse.

Un garçon était encore en train de fouiller dans sa trousse. Il tournait et retournait son contenu, puis s'arrêta. Il regarda l'intérieur de sa trousse avec un air embêté. Après, il se retourna discrètement et chuchota quelque chose au garçon qui était derrière lui.

Aussitôt, la maîtresse lui tomba dessus sévèrement :

« Ah ! Ça va pas commencer, le chahut... »

Le garçon n'osa pas se justifier. Il baissa les yeux et se tut.

Je levai le doigt et la maîtresse m'interrogea avec une voix gentille :

« Oui, Angélique ?

- Il demandait juste un crayon à l'autre garçon parce qu'il a oublié le sien à la maison. »

Les poings sur les hanches, la maîtresse s'exclama :

« Non mais de quoi j'me mêle ! T'as ton crayon, toi ? »

Ayant soudain peur de me faire gronder, je m'empressai de montrer mon crayon, dans ma main, en position prêt à écrire et répondis :

« Oui. Moi, j'ai le mien.

- Bon. Alors, tout va bien. L'incident est clos. »

La maîtresse me tourna le dos mais l'incident n'était pas clos : le garçon me regardait de travers, comme si j'avais voulu le cafter exprès pour le faire punir.

Ce n'était pas du tout le cas. Il était déjà arrivé qu'une fille oubliât, pareillement, son crayon à la maison. Dans ces cas-là, il fallait lever le doigt, attendre d'être interrogée et le dire à la maîtresse qui en prêtait un gentiment. C'est comme ça que le garçon aurait dû faire mais il ne savait pas, il n'avait pas osé... par timidité envers ma maîtresse qu'il ne connaissait pas... parce qu'il avait eu peur d'elle... parce que sa maîtresse l'avait habitué à d'autres manières...

Il ne méritait pas d'être grondé. Il avait besoin de recevoir des instructions claires et précises pour pouvoir s'y conformer. C'était pour éclairer ce quiproquo que j'avais voulu me faire son intermédiaire devant la maîtresse.

Il n'y eut, de la matinée, pas d'autre heurt, pas d'autre évènement notable mais moi, je ne pouvais plus observer les garçons à ma guise : j'étais repérée.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant