Lorsque Maman et moi apparûmes dans le décor, un monsieur était là. Son visage buriné était entouré de boucles bondes, collées par la sueur et la poussière, qu'il cachait sous une casquette. Il était assis sur un muret, accoudé à un gros sac de voyage posé à côté de lui, à main droite ; tandis que sur sa gauche, sur le muret, était posée une bouteille de boisson alcoolisée.
Le monsieur parlait fort, il parlait à tout le monde, aux passants. Comme les p'tits jeunes, il exprimait le message du lieu mais avec plus de charisme. Il prêtait sa voix à l'esprit du lieu qu'il se faisait gloire d'incarner. Il disait... euh... genre :
« Qu'est-ce que vous avez tous à baisser la tête ? Ouvrez les yeux ! Regardez autour de vous ! Y a rien à acheter, ici, rien à vendre. On n'en veut pas à votre argent. De quoi avez-vous peur ? Moi, j'ai pas peur. J'ai dormi ici, moi, cette nuit, tout seul. J'ai écouté le cri des pierres. Et vous, pourquoi ne voulez-vous rien entendre ?... Qu'est-ce qui vous dérange ? Vous voulez tout raser et reconstruire par-dessus pour vous donner l'impression que tout a disparu mais rien de ce qui est là ne disparaitra jamais. Vous pouvez seulement le cacher sous votre béton mais tôt ou tard, ça pètera de nouveau... »
Wouah ! Comme il parlait bien.
Ses paroles furent efficaces. Deux grandes personnes qui auraient dû se croiser les yeux baissés se regardèrent et se parlèrent : Maman et une autre dame.
Je la vis arriver en face de nous. C'était une dame aux cheveux décolorés et au visage maquillé, vraiment pas le genre de dame à parler avec Maman.
Maman, elle ne se maquillait jamais. Le dimanche, quand nous allions chez certains invités, elle se faisait une mise en plis et mettait de la laque sur ses cheveux. Le reste du temps, elle était naturelle.
Avec la mèche rebelle, l'œil dur et le nez crochu, ma mère avait l'air d'une sorcière. Les belles dames maquillées n'avaient pas envie de lui parler, en général.
Seulement, voilà : la raison des adultes revient toujours à celui qui a le dernier mot ; dernier mot que la dame aux cheveux décolorés et au visage maquillé ne voulait pas laisser au monsieur qui avait parlé fort. Elle voulait ajouter quelque chose derrière lui mais elle avait peur de lui dire en face. Elle préférait biaiser, répondre d'une manière indirecte en s'adressant à une tierce personne.
Comme il n'y avait là que Maman et moi et que Maman faisait moins peur que le monsieur, elle s'approcha de nous, sourit à Maman comme si c'était sa copine et lui dit :
« Il ferait mieux de travailler. »
Ma mère qui, jusque là, avait gardé les yeux baissés, jeta un coup d'œil furtif vers la dame et répondit d'un ton sec :
« C'est un fou. »
La dame, surprise par la sévérité de ma mère, hocha la tête avec un sourire-moue et ajouta :
« S'il buvait moins, ça irait mieux. »
Maman ne répondit plus rien et baissa le regard.
Le monsieur regardait gentiment les dames qui le dénigraient quand il croisa mon regard. Se sentant épaulé, il pointa le menton vers moi et reprit de sa voix forte :
« La gamine, elle a compris ce que vous, adultes, ne comprenez pas... ou ne voulez pas comprendre. »
Comme il faisait chaud, il retira sa casquette pour s'essuyer le front et je pus constater que son crâne était un peu dégarni. Il n'avait plus toutes ses boucles.
J'étais en train d'enjamber le dernier muret qui devait me faire disparaître du décor quand je vis le monsieur boire une gorgée de sa potion ; puis, je l'entendis, derrière moi, reprendre son discours à zéro pour les nouveaux passants. Quel courage !
En d'autres temps, en d'autres lieux, cet homme aurait été appelé prophète, philosophe, grand orateur.
Mon Dieu, dans quel monde m'as-tu envoyée ?
VOUS LISEZ
DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Phi Hư CấuPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?