VI 5 - La maîtresse des filles

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Malgré que mon année à la maternelle eût été tout à fait atroce, mon entrée au cours préparatoire s'était présentée sous de bons auspices.

Le cours préparatoire faisait partie de la grande école, ce qui voulait dire qu'on n'allait plus y être traités comme des bébés qui ne servent à rien mais comme des grands qui ont le droit de se consacrer sérieusement à l'élaboration de leurs connaissances ; en particulier, apprendre à lire et à écrire. Moi, c'était ça que je voulais.

Nani disait aussi que, sans même savoir qui allait être ma nouvelle maîtresse, elle pouvait d'ores et déjà m'affirmer sans aucun doute qu'elle serait bien plus gentille avec moi que ne l'avait été l'ancienne.

Mon premier jour à la grande école, quand je revins à la maison, Maman me demanda le nom de ma nouvelle maîtresse. Je pus le lui dire : c'était un nom facile à mémoriser.

Maman s'en réjouit : c'était la maîtresse que Nani avait eue, elle aussi, au cours préparatoire.

« Oh ! C'est une bonne maîtresse. Avec elle, tu seras bien pour apprendre à lire et à écrire. Oh ! Je suis contente que tu sois tombée sur elle. »

Nani aussi, ça lui fit plaisir que je fusse dans la classe de son ancienne maîtresse du cours préparatoire. Caki, quant à lui, ne la connaissait pas du tout. Caki, c'était mon grand frère : il ne connaissait pas les maîtresses de l'école des filles.

Ma maîtresse était, effectivement, une vieille dame douce et attentionnée envers toutes ses élèves, en général, et plus particulièrement envers moi parce qu'elle avait remarqué que je souffrais, disait-elle, d'une grande affliction.

Par contre, j'eus quelques occasions de me rendre compte qu'elle n'avait pas la même tendresse pour les garçons. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'elle ne les aimait pas. Disons simplement qu'elle avait peur d'eux !

La première de ces occasions fut la fois où des garçons vinrent dans notre école pour passer une visite médicale. La maîtresse était tellement angoissée qu'elle ne pouvait même pas nous faire la classe. Je la vois encore, assise à son bureau, nous parlant de ce terrible évènement prévu ce matin-là.

« J'en suis malade, disait-elle. Avec les garçons dans nos murs, on peut être sûr qu'une bêtise va être faite. Je l'attends. »

Soudain, elle se raidit sur sa chaise, tendit l'oreille et s'écria en chuchotant :

« Ça y est ! Ils sont là. Vous entendez leurs pas dans l'escalier ? Ce qu'ils sont bruyants ! »

On aurait dit qu'elle parlait de la Gestapo.

Ma maîtresse était-elle mariée ou bien veuve ? Avait-elle des enfants ? Elle ne nous parla jamais de sa vie privée. Tout ce que je savais, c'est qu'elle n'était pas une vieille fille parce qu'elle portait le titre de « madame ». Alors, pourquoi une telle hantise des garçons ?

En fait, je connaissais déjà cette pathologie à tendance misandre pour l'avoir observée chez ma mère et ma grande sœur. À la maison, j'avais un père et un grand frère et tout se passait très bien (même si Caki et Nani se chamaillaient quelque peu). En revanche, Maman et Nani manifestaient une étrange hostilité pour les garçons de l'école des garçons ; résurgence évidente de leur petite enfance passée dans l'école des filles.

Moi, je trouvais ça débile que les garçons et les filles fussent séparés en deux écoles différentes. Les hommes et les femmes n'ont-ils pas été créés pour vivre ensemble ? Pourquoi aller dans des écoles qui apprennent aux garçons et aux filles à se méconnaître ? C'est comme si on mettait tous les enfants sur un grand terrain, les garçons d'un côté, les filles de l'autre ; on tracerait une grande ligne au milieu du terrain et on interdirait aux enfants de la franchir. À force de se regarder sans pouvoir se parler, les enfants de chaque camp éprouveraient pour le camp adverse un mélange de crainte et de curiosité. Finalement, le seul moyen qu'ils auraient de s'atteindre serait de se lancer des pierres. Moi, je trouvais ça débile, que les garçons et les filles fussent séparés en deux écoles différentes. Enfin, bref...

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant