« Oh ! ben alors, si ça s'appelle l'avortement, tout va bien ! »
Tant que le concept planait dans les méandres de mon inconscient, rôdait comme un grand méchant loup dans la forêt obscure de mes rêves nocturnes, il me tourmentait sans que j'en eusse conscience.
Par contre, dès lors qu'il fut justifié par des mots savants tels que grossesse prématurée et imposé par l'autorité parentale, j'étais rassurée. Le grand méchant loup n'était plus qu'un bon gros toutou domestiqué. D'ailleurs, quand les grandes personnes usent d'autorité, ne jurent-elles pas tous leurs saints que c'est pour notre bien ? Elles prennent leurs responsabilités, après tout.
« Comment ça, tout va bien parce que ça s'appelle l'avortement ? »
questionna ma mère. Elle ne comprenait pas mon revirement.
« Alors, si je t'envoyais chez le docteur te faire avorter, tu obéirais sans rien dire ?
- J'aurais le droit de pas obéir ? »
demandai-je prudemment.
« Ben... tu réagirais comment ?
- Si tu m'emmenais chez le docteur me faire soigner d'une "grossesse prématurée", ce serait... comme pour une piqûre : il faudrait que je sois courageuse... le temps que ça passe. En plus, si j'avais une maladie comme ça, ça voudrait dire que j'aurais beaucoup désobéi, non ? Alors, si, en plus, je faisais des caprices pour ne pas aller chez le docteur me faire soigner, tu te mettrais très en colère, non ? »
Tout cela n'était que du domaine de la supposition. Ça ne se pouvait pas, de toute façon ; j'étais trop petite, moi, je n'avais que neuf ans. Malgré tout, je n'en menais pas large.
La tête dans les épaules, j'attendais la réponse de ma mère quand, tout à coup, elle se mit à faire du blabla de grandes personnes. Je ne savais même pas si elle me parlait ou si elle se parlait à elle-même.
Ce que j'en ai retenu principalement, c'est qu'il arrive parfois que des enfants se suicident ou finissent à l'asile. Ce ne sont pas des enfants de neuf ans mais plutôt des grands qui ont une vingtaine d'années.
Il est certain que cela est l'aboutissement d'une (courte et longue) vie de très grande souffrance.
Néanmoins, les adultes se montrent souvent peu compatissants à leur égard. À la place, ils plaignent les parents de la victime.
Les gens bien pensants disent d'un ton recueilli :
« Oh, les pauvres parents ! ce sont des gens si braves, si gentils. Ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour cet enfant. Il avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Ils n'ont vraiment pas eu de chance avec lui. »
Est-ce à dire que les adultes sont solidaires entre eux au détriment de l'enfant ?
Certes, une fois que l'enfant est décédé, seuls les parents restent à consoler, à déculpabiliser... parce qu'au fond d'eux, ils savent très bien que c'est eux qui ont raté quelque chose dans l'éducation de leur enfant. Mais quoi ? Comment ? Et pourquoi ?
Pourtant, avant d'en venir au suicide, les enfants ne font-ils pas tout ce qu'ils peuvent pour dire ce qui ne va pas, ce dont ils ont besoin ; pour appeler au secours ?
Qui couvre leurs voix ? Qui raconte aux parents que les enfants ont besoin qu'on les force à manger de la soupe, à aller à l'école, à se coucher tous les soirs à vingt heures... et toutes sortes d'aberrations qui envahissent tous les recoins de notre enfantine existence ?
L'autorité est telle qu'il arrive parfois qu'un enfant tombe dans le suicide ou à l'asile avant d'atteindre l'état d'homme (ou de femme) adulte. Lorsque cela se produit, ce que les adultes disent des parents sous-entend :
« Ce sont de bons parents, pourtant : ils ont scrupuleusement suivi les prescriptions de la société en matière d'éducation. »
et ce qu'ils disent de l'enfant :
« Quel enfant de merde ! Il n'a même pas su s'adapter à ses propres besoins. »
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DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?