IX 1 - La dernière image

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Le monstre aux trois apparences s'arrêta dans son élan et se tint devant moi, sans me toucher.

Passé l'effet de surprise, il répéta avec confiance son argument habituel :

« C'est mon cœur qui bat.

- Eh ben... laisse-le à la maison, ton cœur qui bat ! Enlève-le avant de te présenter devant moi !

- J'peux pas. Si le singe meurt, l'ange retourne au ciel, loin de toi. Le singe a prêté son corps à l'ange pour lui permettre de marcher sur la terre au-devant de toi et avec toi. Il est gentil. S'il fait des bêtises, gronde-le mais aime-le ! C'est mon cœur qui bat pour toi. »

À ce moment-là, il se passa... rien du tout. C'était à moi de parler mais le rêve ne raconta pas que je disse quoique ce soit. Le nuage qui nous entourait était tant silencieux qu'on aurait entendu une puce sauter. Bien que je fusse dans un rêve, c'était moi toute seule qui devais réfléchir et décider de ma réponse, sans me réveiller.

« Bon d'accord, dis-je. Tu peux garder le singe mais enlève le hérisson !

- Le hérisson ?

- Ben oui, tes longs poils durs et piquants, c'est pas le singe, c'est le hérisson. C'est ça qui me fait mal quand tu me sers le cou avec ton bras. »

Le monstre tendit les bras devant lui pour regarder ses poils piquants et se parla à lui-même à voix haute, genre :

« Tient ! C'est toujours là, ça ? Ça fait pas partie de ce rêve, en principe. C'était dans mon cauchemar... je me souviens : c'est la protection que je m'étais inventée contre le vieux monstre. Ha ! Ha ! Ça m'a suivi jusqu'ici ? C'est marrant ! »

Relevant les yeux vers moi, il hocha la tête avec un sourire amusé et me répondit :

« Oui, ça, j'veux bien l'enlever. Avec toi, j'en ai pas besoin. »

Il se défit de son hérisson comme d'une panoplie de déguisement qu'il laissa tomber par terre.

Marchant tous deux côte à côte, nous allâmes jusque derrière le donjon de l'école des garçons, à l'abri des regards.

Je me retrouvai ainsi seule avec le monstre derrière le donjon mais je n'avais pas beaucoup peur, d'autant qu'il avait bien voulu se défaire pour moi d'une de ses apparences, la plus monstrueuse des trois : l'agressivité.

Nous ne restâmes pas longtemps seuls : ma maîtresse (du cours préparatoire) vint voir derrière le donjon ce qui s'y tramait. Ça m'a fait peur ! Pas pour moi...

Ma maîtresse du cours préparatoire, elle était toujours gentille avec nous, les filles. Par contre, avec les garçons, rien que dans la réalité, elle était drôlement sévère. Alors, dans un rêve, où les peurs sont amplifiées par l'irrationnel, un adulte sévère a vite fait de devenir un monstre cauchemardesque.

Le hérisson ! Le garçon venait juste de se séparer de ce bouclier - pour me faire plaisir - parce qu'il se croyait à l'abri de ses cauchemars. Plus rien ne recouvrait ni ne protégeait son vulgaire corps de singe.

« Et si la maîtresse s'aperçoit que le garçon a un corps de singe ! »

Voilà ce qui me traversa l'esprit quand ma maîtresse (du cours préparatoire) vint jeter un regard derrière le donjon. Alors, vite ! Je me mis face à elle, devant le garçon, pour qu'elle ne le vît pas.

Une autre nuit, mon rêve revint, celui du garçon au corps de singe qui était avec moi derrière le donjon de l'école des garçons, et je le pressai de remettre sa cuirasse, avant que n'apparussent ses monstres de cauchemar.

« On sait jamais ! »

Il ramassa à mes pieds et réajusta à ses poignets de larges bandes de cuir serties de pointes d'acier. À mes yeux, il redevint le monstre aux trois apparences garçon-singe-hérisson ; et je l'acceptai ainsi.

Il leva le poing, l'ouvrit, me montra la paume de sa main et me dit d'un ton grave :

« Regarde ma main ! Elle a pas de piquants. Elle est douce. Elle est pour toi. »

Il posa sa main sur ma joue en me regardant profondément dans les yeux.

Ce fut la dernière image du rêve, celle pour laquelle il était venu. Cette histoire n'eut plus jamais ni suite ni modification.

Je ne te prends pas trop la tête avec mes rêves ? Nan parce que j'en ai un autre à te raconter.

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant