IX 21 - À ma sauce empoisonnée

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Toutes les phrases étaient construites comme l'exemple, à savoir : une affirmation, une virgule, une conjonction et trois petits points. Si la phrase de l'exemple racontait mon cauchemar, les autres phrases ne racontaient que des histoires de loup. Comme par hasard !

En particulier, il y avait la phrase 4 qui disait :

4 - Le loup voudrait bien me manger, mais...

Mais... ? Mais ... ? « mais ça s'peut pas » ? Non ! Cet argument a déjà rendu l'âme. Mais... quoi ? « mais il existe pas » ? Ben si : les loups, ça existe ; « Mais je suis... » ça s'rait p'têt pas prudent.

Ne sachant que répondre, je jetai un œil sur la cinquième et dernière phrase :

5 - Il faut rendre le formulaire, pourtant...

Je levai les yeux et vis Monsieur le Directeur qui venait ramasser les copies. Je me mis à paniquer : si je ne remplissais pas la phrase 4, j'étais fichue. Ça me fit exactement le même effet que quand la maîtresse venait ramasser les copies, que je n'avais pas répondu aux questions parce que je n'avais pas appris ma leçon et que j'avais peur d'être punie.

Comme à l'école en pareil cas, je me fiai à mon intuition pour remplir les blancs et complétai précipitamment :

5 - Il faut rendre le formulaire, pourtant... je dois finir la phrase 4.

4 - Le loup voudrait bien me manger, mais... je suis empoisonnée !

Monsieur le Directeur ramassa ma feuille sans la regarder.

En plus, il m'avait fait dépêcher pour rien parce qu'après, il n'y avait rien à faire.

À la longue, ça commençait à devenir ennuyeux.

J'étais assise à ma petite table, à la gauche de Monsieur le Directeur, tournée vers lui. Il était assis à son grand bureau, le nez en l'air. Qu'est-ce qu'on attendait ? Je baissai la tête et regardai mes mains posées sur la table. Quel ennui ! C'était bien la première fois de ma vie que je rêvais que je m'ennuyais.

Je repensai au formulaire et me fis la réflexion selon laquelle s'empoisonner, au sens figuré, est synonyme de s'ennuyer. Je m'empoisonnais, donc, à force d'ennui.

Tout ce que je voyais, devant moi, c'était Monsieur le Directeur, bien tranquille, qui m'obligeait à rester assise à côté de lui et me laissait m'ennuyer sans s'occuper de moi. À la longue, la colère commença à me gagner et quelques petites phrases piquantes sortirent de ma bouche, par-ci, par-là.

Au début, Monsieur le Directeur fit celui qui n'entendait pas mais je savais y faire pour agacer un adulte. À la longue, il commença à soupirer, puis à me répondre. Ainsi débuta le long combat de la chèvre contre le loup.

Ce fut un combat gentil, correct et poli qui avait tendance, finalement, à m'amuser et à exaspérer notre pauvre Monsieur le Directeur, qui jamais ne me grondait. 

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant