Tant de fois, dans mes rêves nocturnes, j'avais vu le garçon aux cheveux blonds et bouclés venir devant moi et poser sa main sur ma joue ; j'aurais été complètement effondrée de voir, dans la réalité, le geste tourné vers une autre que moi.
Ce geste, c'est l'expression de l'amour d'un petit garçon pour une petite fille. Je le savais pour l'avoir souvent rêvé. C'était moi toute seule qui le savais parce que j'avais été la première à dire que j'aimais les garçons, à marcher sur le chemin de l'amour ; tandis que les autres, à l'automne, s'en étaient éloignées pour faire leurs mijaurées. C'est pour ça que c'était à moi que le rêve avait été donné.
Ce geste, il était gravé dans mon cœur et je pouvais le garder pour moi toute seule, comme un secret, parce que les garçons n'étaient pas là. Ils n'étaient pas dans notre école ; ils ne pouvaient pas montrer aux filles l'amour qu'ils leur portent.
Tant de fois, pourtant, j'avais déploré que les garçons ne fussent pas avec nous !
« Heureusement qu'ils ne sont pas là, sinon ils pourraient se manifester librement ». Est-ce cela, aimer les garçons ? Non.
Et puis, je me sentis coupable vis-à-vis des filles et de la maîtresse, après tout ce qui s'était passé :
• au gymnase, où nous étions toutes allées plus longtemps que ce qui avait été initialement prévu, exprès pour que je pusse me montrer devant Camille sans mon cache ;
• dans mes rêves qui avaient fait intervenir le concours de toutes les filles de Courbevoie, les grandes sœurs et les maîtresses, pour que je pusse aller jusqu'au bout de mon histoire et voir le garçon poser sa main sur ma joue ;
• ce matin-là, où toutes les filles, en classe, avaient sans arrêt regardé vers moi, cherchant en moi des réponses, comme un juste retour de ce qui m'avait été donné de voir et de comprendre ;
avais-je le droit de vouloir tout garder, en secret, pour moi toute seule ? Non.
Devant moi, la fille brune aux cheveux raides coupés au carré, au visage tout fin avec des joues toutes roses, regardait dans le vague tristement. Dans mon cœur, il y avait un message pour elle ; c'était la réponse d'amour du garçon. Il n'était pas là pour la lui donner. Il ne pouvait exister qu'à travers moi. Est-ce que je voulais que le garçon existât ? Oui... mais et moi ? Je n'allais pas donner mon rêve d'amour à n'importe qui, quand même !
Précisément, La fille brune aux cheveux raides coupés au carré, ce n'était pas n'importe qui ; j'avais une dette envers elle personnellement parce que c'est elle qui, en décembre, m'avait révélé le fait que le père Noël n'existe pas. J'avais perçu tant de déception, dans sa voix, quand elle m'avait expliqué que ce sont les parents qui apportent les cadeaux !
C'était une bonne élève, sagement soumise à la raison des adultes. Moi, l'élève moyenne, la rêveuse, je désirais profondément lui démontrer, en retour, que le père Noël existe malgré tout.
Courageusement, je fis un pas en avant et posai ma main sur la petite joue toute rose de la fille aux cheveux raides coupés au carré. Je ressentis en moi un déchirement aussi grand que si j'avais posé dans ses bras mon nounours préféré.
Sans vraiment sortir de ses pensées, elle tourna les yeux vers moi et, me voyant derrière ce geste, fronça les sourcils d'un air de ne pas comprendre. (Normal : venant de moi, cela n'avait aucun sens).
Gardant néanmoins la main posée sur sa joue, j'expliquai, la gorge nouée :
« C'est de la part du garçon. »
Alors, sa physionomie se transforma, son regard devint profond. J'y reconnus le sentiment que m'avait inspiré, dans mes rêves, le geste du garçon. Ce regard qu'elle tendait vers moi, je le savais, ne m'était pas adressé (sinon, ça n'aurait eu aucun sens). C'était sa réponse d'amour au message du garçon qui était dans mon cœur.
Sentant un autre regard sur moi, je levai la tête et vis la maîtresse à côté de nous. On aurait dit que la vieille dame avait des larmes dans les yeux.
La fille aux cheveux raides et foncés coupés au carré et aux petites joues toutes roses, elle s'appelle Laurence.
VOUS LISEZ
DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?