IV 1 - Cultiver l'amour

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Cultiver l'amour ? Quelle sorte d'amour ?

Quand j'avais vu les petites fourmis mourir brûlées, j'avais ressenti comme une douleur dans mon corps. Pourtant, ce n'était pas mon corps que le feu avait touché, c'était mes pensées ; comme si les fourmis faisaient partie de moi. Je n'avais jamais vraiment appris à faire la différence entre moi et pas moi (mais je savais que je n'étais pas une fourmi)... (heureusement !)

D'ailleurs, j'avais été étonnée de constater que mes parents pouvaient voir des créatures vivantes brûler devant eux sans éprouver de douleur dans leur propre chair.

Essayant de les sensibiliser, je leur avais crié :

« Pourquoi vous avez fait ça ? Vous êtes méchants ! »

mais ils m'avaient envoyée balader.

C'est seulement le lendemain, au cours du repas, qu'ils m'avaient demandé :

« Ben , qu'est-ce qui t'arrive ? T'as l'air tout triste. »

Je leur avais demandé à mon tour :

« Ça ne vous fait rien, à vous, de voir quelqu'un brûler devant vous ? »

Quand les mots sortent de la bouche, les larmes qui vont avec sortent des yeux.

Mes parents s'étaient échangé un regard interloqué et Maman avait répondu :

« Oh ! si, alors. Quand je pense qu'au Moyen Âge, les condamnés étaient brûlés vifs sur la place publique ! J'aurais pas aimé assister à ça. »

Cultiver l'amour, ça ne veut pas dire apprendre à aimer : on ne peut pas apprendre à avoir de l'amour dans le cœur, pas plus qu'on ne peut apprendre à avoir du sang dans les veines.

Cultiver la terre, ce n'est pas lui apprendre à faire vivre le monde végétal.

Cultiver, c'est utiliser un potentiel préexistant pour en tirer avantage et arracher ce qui prendrait la place naturellement.

Cultiver l'amour, c'est le rendre conforme à la norme en vigueur.

Bon, on a de la chance : on n'est pas dans un pays en guerre... mais fais gaffe quand même ! Le cœur des adultes est toujours en guerre contre un tel ou un tel.

Quand on est tout petit, la situation est parfois très embarrassante, genre : deux personnes que tu ne connais pas viennent à la maison, quels que soient les sentiments que chacune d'elle t'inspire intuitivement, tu dois embrasser la première qui est un ami de la famille et te montrer distant pas rapport à la seconde qui n'est qu'un simple ouvrier venu dans le cadre de son travail.

Cultiver l'amour, c'est apprendre à faire la différence entre les gens que l'on peut tutoyer et ceux que l'on doit vouvoyer ; apprendre à faire la différence entre les proches et les lointains.

Les fourmis, de par leur taille, sont beaucoup trop loin de nous pour qu'on doive les aimer. Par conséquent, on peut les écraser ou les brûler si on veut, c'est pas grave. Sauf si leur espèce est en « voie de disparition », précisa Maman. Il subsiste donc une relative proximité planétaire, de sorte que même les adultes les plus cultivés seraient malheureux qu'une espèce de la terre y perde pied.

Reste à savoir comment on peut être alerté d'un éventuel danger menaçant un animal ou son espèce si on n'entretient pas, à son égard, l'amour requis pour entendre son message.

Auprès des animaux, qui ne parlent pas le langage des hommes, l'amour et le message ne se confondent-ils pas ? Non, je dis ça parce que, par exemple, moi, je sais que les chevaux m'inspirent une sorte de fascination respectueuse et les chats plutôt une tendresse attentive. Ça me fait l'effet d'un message.

L'amour, c'est comme un clavier qu'on a dans le cœur : chaque être appuie sur la note, sur l'accord plus ou moins complexe, qui lui est propre.

Cultiver l'amour, c'est retirer les notes des uns pour les donner aux autres.

Le jour où je fis cette réflexion à mon père, il me répondit que c'est ainsi que l'homme crée des sons et des musiques qui n'existent pas dans l'harmonie originelle qui, elle, n'est que silence.

Du tac au tac, je répliquai à mon tour :

« Alors, le rock n roll est plus cultivé que la musique classique. »

Ah ! ouais, quand je prenais la défense des fourmis, je me faisais fiche de moi mais si j'en fais autant avec le rock n roll, on rigole moins ! 

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