Du temps de nos parents, ça ne se serait pas passé comme ça. À leur époque, les enfants qui n'aimaient pas voir tuer une mouche étaient en minorité ; ils devaient se taire pour ne pas se faire fiche d'eux. Autrefois, il était courant de faire souffrir un animal juste pour s'amuser ; de blesser gravement un animal et l'abandonner là, comme un déchet ; d'épingler des papillons pour monter une jolie collection ; plein de choses.
Comme les enfants sont influençables, même s'ils ont bon cœur au départ, ils finissent par épouser la norme. Ça donne des parents comme les miens, qui incendièrent une fourmilière parce qu'ils trouvaient ça normal.
Lorsque j'eus choisi, bien loin de la colonie, de mettre mon intelligence au service de la protection des animaux, je fus agréablement surprise de découvrir que tous les enfants de mon âge avaient fait exactement le même choix (enfin, quand je dis tous, je veux dire que c'était général, comme une mode).
Nous avions tous, dans le cœur, des souvenirs à remettre sur le tapis devant nos parents, genre :
« D'accord, vous ne voulez pas être envahis par les fourmis, vous ne voulez pas que la boîte à sucre soit pleine de fourmis. Moi non plus mais n'y avait-il pas d'autres solutions que d'exterminer la fourmilière ? Y avez-vous seulement réfléchi ? Faut-il attendre qu'une espèce soit en voie de disparition pour chercher à établir avec elle une cohabitation harmonieuse ? »
Nous étions nombreux, nous étions intelligents, nous étions fidèles à la position que nous avions prise dès la petite enfance, nous ne nous battions pas pour nous-mêmes. Nos parents avaient la désagréable impression que nous leur faisions la morale. Nous portions des valeurs chargées de raison et de sagesse. Nous faisions autorité dans notre domaine.
Arrivé là, une organisation louche fit courir un bruit selon lequel il fallait nous apprendre à aimer et respecter les animaux ; selon lequel il fallait que les adultes nous enseignassent les bonnes valeurs.
Cette odieuse organisation est connue sous le nom d'opinion publique. Tous les adultes la suivirent, comme si c'était normal.
J'étais écœurée par la mauvaise foi des adultes mais les enfants de mon âge avec qui j'en discutai trouvaient que ce n'était pas grave ; que l'important, c'était qu'il ne soit plus fait aucun mal aux animaux. Les adultes n'étant capables de respecter que leurs propres idées, il valait mieux leur laisser dire que nos idées venaient d'eux. Plus ils avaient le sentiment que nous leur faisions la morale, plus ils avaient envie de désobéir à cette morale et rien ne pouvait les en empêcher ; alors que s'ils prétendaient nous apprendre à respecter les animaux, ils s'évertuaient à nous donner le bon exemple et ça, c'était ce qui pouvait arriver de mieux aux animaux.
Et si les adultes ne se montraient pas à la hauteur de leur prétention ? Et s'ils faisaient quand même du mal aux animaux ?
Alors, pensaient les enfants, il serait toujours temps d'intervenir en disant aux adultes :
« J'croyais qu'vous aviez dit qu'fallait pas faire de mal aux animaux. »
Moi, j'étais septique : je n'ai jamais cru aux vertus du mensonge. J'attendis de voir ce qui allait se passer.
Ce qui se passa fut très imprécis. Les adultes noyèrent l'affaire dans un feuilleton en trente millions d'épisodes.
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DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?