Il n'empêche que Nani, elle était gentille. Du temps où j'étais au cours préparatoire, un soir, elle m'avait invitée à venir dormir dans sa chambre (et moi, bien sûr, j'avais accepté). Je m'étais couchée dans le lit des invités et elle dans le sien. Les deux lits étaient côte à côte, séparés par la table de chevet.
Nani s'était installée sur le côté, le buste relevé, appuyé sur son avant-bras - laissant ses cheveux longs glisser gracieusement sur sa chemise de nuit - et m'avait demandé :
« Alors ?
- Alors, quoi ?
- Ton rêve de Camille ?
- J't'ai d'jà dit qu'c'était pas Camille, en vrai.
- Évidemment. Le garçon que tu connais ne peut pas entrer réellement dans ton rêve. C'est ton imagination qui construit une image de lui en fonction des souvenirs que tu en as.
- T'es sûre que c'est ça ?
- Nnon. On peut pas être sûre à cent pour cent ; on peut rien affirmer sur la nature des rêves. Maintenant, quand tu dors, tu es toute seule dans ton lit donc, concrètement, tu es toute seule à rêver.
- D'accord mais si je rêve de quelqu'un qui a une autre tête que la tienne, qu'est-ce qui te fera dire que c'est de toi dont j'ai rêvé ?
- Rien.
- Alors, tu vois, c'est pareil. Moi, j'te dis qu'c'est pas Camille qu'est dans mon rêve.
- Au début, c'est bien toi qui m'disait qu'c'était Camille.
- Oui, au début.
- ... mais quand tu l'as rencontré devant la poste, tu as été déçue par le peu d'intérêt qu'il t'a témoigné. Du coup, tu préfères te dire que c'est pas lui, l'objet de tes rêves.
- Non. C'est vrai que, sur le coup, j'étais déçue qu'il me regarde presque pas mais tant pis. D'façon, c'est pas d'lui dont je rêve. Je rêve d'un garçon qu'aurait des cheveux blonds et bouclés, qui serait mon amoureux et que je rencontrerais dans la cour de l'école des garçons. Camille est dans l'école des garçons - comme tous les garçons - Camille a les cheveux blonds et bouclés - Nicolas aussi (le voisin du premier) - et, en maternelle, Camille jouait le rôle de mon amoureux. C'est pour ça qu'au début, le garçon que je vois dans mes rêves, je me disais : c'est Camille. Après : - tu te rappelles ? - tu m'as dit de bien le regarder pour séparer son image de celle du monstre.
- Et tu as réussi ?
- Ben non puisqu'on a vu que c'était lui, le monstre. Tu te rappelles pas ?
- Si. Je me souviens que tu m'avais dit que Camille et le monstre ne faisaient qu'un, dans ton rêve.
- Par contre, ça m'a fait séparer son image de celle de Camille.
- Tu viens de me dire le contraire.
- Non. Je rêve d'un monstre qui aurait le visage d'un garçon aux cheveux blonds et bouclés, le corps d'un singe avec une longue queue dégoûtante qu'il traînerait derrière lui et les poils tous durs et piquants comme ceux d'un hérisson. Ça, c'est indissociable. Par contre, à force de bien regarder son visage, j'en ai une image précise dans mon esprit. Quand j'ai vu Camille sur les marches de la poste, je me suis rendu compte qu'il n'a pas du tout la même tête. C'est pour ça que je dis qu'à force de bien regarder le personnage de mes rêves, j'ai séparé son image de celle de Camille. Si j'étais dessinateur et que je faisais, de mémoire, le portrait de Camille, le portrait de Nicolas et le portrait du monstre aux trois apparences, tu verrais trois têtes différentes. Si les trois tableaux étaient déjà là, accrochés au mur de ta chambre, je saurais te dire lequel est Nicolas, lequel est Camille et lequel est le monstre.
- Bon. Mettons !
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DATE ET LIEU DE NAISSANCE
Non-FictionPremière partie de : SEX AND DESTROY Un nouveau son rock ?