IX 6 - D'une épreuve sportive

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« Réfléchis ! »

J'étais seule avec le monstre. Il était à, à peine, un mètre de moi. Alors, je me mis à courir, à courir... je traversai les murs et courus bien au-delà de l'immeuble mais le monstre était encore à un mètre derrière moi. Il me poursuivait.

Je tâchai de courir plus vite, encore plus vite et vis se profiler devant moi un terrain de course, tandis que le monstre était toujours à un mètre de moi.

Je me dis que si je tombais sur le terrain de course, je devrais entrer en compétition avec le monstre, me mesurer à lui. Cette perspective me fit très peur (d'autant que je n'étais pas d'une nature sportive).

Une alternative s'offrit à moi : sur ma droite, je pus discerner d'obscurs marécages. Cela me parut l'endroit idéal pour me cacher, brouiller la piste ; pour que le monstre perdît ma trace.

« Réfléchis ! »

J'étais sur le point d'y bifurquer quand me revint en mémoire l'histoire que ma mère et ma grande sœur m'avaient racontée, un soir, dans la réalité ; l'histoire de ce fameux cauchemar qu'elles avaient fait pareillement, l'une et l'autre, quand elles étaient petites :

« Alors tu cours, tu cours mais plus tu avances, plus tes pieds s'enfoncent dans le sol et tu as du mal à les soulever. Alors, tu cours au ralenti et le monstre est juste derrière toi, prêt à t'attraper... »

les sables mouvants ! Sans doute, Maman et Nani étaient là, coincées dans ces marécages mais je ne pouvais pas les en délivrer tant que le monstre était derrière moi.

Du coup, je courus droit devant moi. Dès qu'ils touchèrent la piste du terrain de course, mes pieds devinrent légers et rapides ; de plus en plus légers, de plus en plus véloces et moi, je courus plus vite que je n'avais jamais couru. Malgré tout, le monstre était toujours à un mètre de moi, prêt à m'attraper.

« Réfléchis ! »

Plus je courais vite, plus le monstre courait vite de sorte que je n'étais pas encore parvenue à le distancer. Mais alors, s'il était capable de courir si vite, pourquoi ne m'avait-il pas rattrapée plus tôt ? Était-ce par cruauté qu'il faisait durer cette course-poursuite ? Et quand il poursuivait Maman et Nani dans les marécages et qu'elles couraient au ralenti, pourquoi rêvaient-elles qu'il était sur le point de les rattraper au lieu de rêver qu'il les attrapait ? Parce que ses pieds, à lui aussi, étaient pris dans les marécages ?

Je m'aperçus soudain qu'à force de réfléchir, j'avais ralenti mon pas. Vite ! J'accélérai de nouveau, autant que le rêve me le permettait ; vite ; très, très vite.

« Réfléchis ! »

Pendant ce temps-là, le monstre restait toujours inexorablement à un mètre derrière moi, à me dire de réfléchir. Alors, je courais, je courais, sans m'essouffler, sans me fatiguer (puisque je dormais), mais à quoi bon ?

« Tu ne cours pas pour gagner de la distance. Tu cours pour gagner du temps. Réfléchis ! »

Les menaces du monstre me firent peur et j'accélérai encore, pour tenter de le distancer et atteindre le tournant. J'avais le sentiment que tout irait bien mieux dès lors que je l'aurais atteint.

En fait, j'avais déjà dû l'atteindre, ce tournant ; à chaque tour. Combien de fois, déjà, avais-je fait le tour du terrain ? Je n'en savais rien ; je n'y avais pas fait attention, tellement j'avais peur. Je me souvenais seulement avoir couru vers ce fameux tournant que je voyais en face de moi. En somme, j'étais revenue à mon point de départ.

C'était un terrain de course ordinaire : une grande piste rouge démarquée par des lignes blanches, de forme rectangulaire aux angles arrondis ; avec de la pelouse au centre du rectangle et tout autour ; et des gradins bordant la longueur de gauche. Moi, j'étais entrée dans le décor - suivie du monstre - sur la longueur de droite, de sorte que je tournais dans le sens inverse des aiguilles du monde. Enfin... théoriquement.

J'avais beau courir, je ne me voyais toujours pas l'atteindre, ce fichu tournant. Je n'étais même pas sûre de l'avoir déjà passé. Je ne me souvenais même pas si j'étais déjà passée devant les gradins. Pourtant, je courais vite : mes pieds touchaient à peine le sol. Pourquoi n'arrivais-je pas à rêver que j'atteignais mon tournant ?

« Réfléchis ! »

Et pourquoi le monstre me donnait-il des conseils de maîtresse ? Quel rêve absurde !

DATE ET LIEU DE NAISSANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant